Les Tribulations d'un Petit Zèbre - Alexandra Reynaud / Eyrolles

Les Tribulations d’un Petit Zèbre – Alexandra Reynaud / Eyrolles

Alexandra Reynaud, mère d’un enfant surdoué, raconte son quotidien et le parcours scolaire de son fils dans « Les tribulations d’un petit zèbre » – qui reprend la plupart des écrits de son blog, référence sur le sujet du « surdouement ».

Comment en êtes vous venue à écrire votre livre ?

En 2008, Elijah, mon fils de 4 ans a été détecté à haut potentiel intellectuel (HPI). Le bilan qui a permis de valider sa précocité a été réalisé par une psychologue sur l’initiative de ma mère, qui était enseignante, et qui avait remarqué qu’il n’était pas vraiment dans la norme : il savait déjà lire, faisait des puzzles très complexes, trouvait les journées à l’école très longues…

Après ce bilan, j’ai cherché des réponses dans les livres… J’ai aussi regardé sur Internet : c’était un désert d’information. J’ai alors décidé de créer un blog pour permettre aux autres parents d’enfants HPI de trouver des informations mises à jour et des ressources – avec des témoignages très concrets.

Depuis 7 ans, je tiens donc mon blog, ”Les Tribulations d’un Petit Zèbre”. Au fil des années, beaucoup de gens m’ont demandé pourquoi je n’écrivais pas un livre : je voulais écrire quelque chose apportant une valeur ajoutée, à l’image du blog, avec un mélange d’expériences personnelles et des infos sur le HPI. J’ai alors décidé de condenser sur papier tout ce que j’avais pu écrire sur mon blog au fil des années.

A quelles difficultés votre fils a-t-il été confronté à l’école primaire ?

Sur le plan scolaire, il n’a rencontré absolument aucune difficulté. Le problème venait des enseignants, avec qui c’était la roulette russe : on peut avoir la chance de tomber sur un professeur fantastique, bienveillant, humain, qui comprend les besoins spécifiques d’un élève HIP ; puis sur d’autres avec qui cela va être beaucoup plus difficile.

Ce fut le cas pour mon fils l’année de grande section, son enseignante ayant décidé de ne pas s’adapter à son rythme. Mais heureusement, l’année suivante, dans une nouvelle école, en CP, une autre instit s’est révélée différente : elle a compris sa douance, et a demandé à lui faire sauter une classe, pour aller en CE1. C’était une véritable bouffée d’oxygène pour Elijah, qui se sentait davantage reconnu par sa prof, et qui ne s’ennuyait plus en cours ! Avant de sauter le CP, cela n’avait pas de sens pour lui d’apprendre la lecture, alors qu’il lisait déjà parfaitement depuis 2 ans. Encadré par des enseignants bienveillants, il a encore sauté une classe (le CM1), puis est entré au collège épanoui.

Alexandra Reynaud, mère d'un enfant surdoué, raconte son quotidien et le parcours de son fils sur son blog, et maintenant dans un livre.

Alexandra Reynaud, mère d’un enfant surdoué, raconte son quotidien et le parcours de son fils sur son blog, et maintenant dans un livre.

Les difficultés ont pourtant continué au collège, sous une toute autre forme…

A l’école primaire, tout allait bien. Elijah était isolé l’année de grande section, car il lisait des livres sur les insectes alors que ses camarades ne savaient pas lire. Mais après ses sauts de classe, l’écart s’est réduit. Il était très bien intégré.

Les difficultés relationnelles ont éclaté à partir de l’entrée en 6e, au collège, où les effectifs étaient plus nombreux, avec une mentalité différente chez les enfants devenus adolescents. Pour Elijah, ce fut une année de harcèlement moral et physique.

Ce fut très compliqué, surtout du fait d’un entourage scolaire clairement défaillant – avec un CPE et certains enseignants qui ne calmaient pas les tensions mais ne faisaient que les envenimer, en fermant les yeux et en ignorant nos alertes. On sentait que l’idée, c’était qu’on le lâchait dans la fosse aux lions, et tant pis s’il se faisait manger : il devait s’en sortir par lui-même…

L’année de 6e a été un gros choc pour mon fils, au point que nous avons dû changer de collège, suite à des agressions physiques. En 5e, il n’y a pas eu de problème particulier, mais Elijah demeurait dans une solitude extrême – il n’arrivait pas à créer de lien avec les autres, car il existait déjà des clans, hermétiquement fermés.

Pourquoi avoir déscolarisé votre fils, à un moment donné ?

En 6e, un enfant de sa classe a dit à tout le monde, dès le premier jour, qu’il avait 2 ans d’avance – ce qui a clairement joué dans sa stigmatisation. Il a été pris pour tête de turc, parce qu’il avait sauté deux classes. On le traitait “d’intello”.

L’année de la 5e, comme il avait vécu un enfer et qu’il ne voulait pas revivre cela, il a caché ses deux années d’avance pendant plusieurs mois. Il n’y avait pas de problème avec les autres élèves, mais il n’arrivait juste pas à se fondre dans des groupes déjà constitués, avec des enfants qui n’avaient pas du tout les mêmes centres d’intérêt.

Puis une nouvelle agression s’est produite, et pour Elijah, ce fut le trop-plein : il s’est enlisé dans des pensées suicidaires, et n’allait plus du tout bien moralement, jusqu’à se détourner des apprentissages. En classe, au collège, c’est mal vu de bien travailler, d’être attentif au cours – il était mis dans la case de “l’intello”, différent des autres. En fin de 5e, il avait toujours de bons résultats, mais cela ne l’intéressait plus du tout. Scolairement parlant, il n’y avait pas de problème, mais sur le plan de la reconnaissance des particularités et du relationnel, oui.

La plupart des enseignants n’ont pas remarqué le mal-être d’Elijah… En définitive, sans vrai soutien de leur part ni de l’établissement, j’ai rencontré le référent précocité de l’académie, pour trouver une solution provisoire de déscolarisation. Je voyais bien qu’il n’en pouvait plus. Je craignais un passage à l’acte. A la fin de la 5e, nous sommes donc passés par le CNED, pour qu’il puisse suivre des cours à la maison.

Les Tribulations d'un Petit Zèbre - Alexandra Reynaud / Eyrolles

Les Tribulations d’un Petit Zèbre / Eyrolles

Hélas, les parents sont souvent seuls face à ce genre de situation. Ce qui ressort de mes discussions avec d’autres familles d’élèves surdoués, c’est l’inertie des enseignants. Je sais très bien qu’ils ne sont pas là pour régler tous les problèmes, mais j’ai toujours été étonnée du peu de suivi de leur part.

Aujourd’hui, où en est Elijah ?

Elijah a sauté sa 4e, car il avançait au ralenti et demeurait en avance, et a donc suivi une année de scolarité à la maison. La déscolarisation était une nécessité, car il allait très mal et il fallait le protéger. Il était entré dans une véritable phobie scolaire.

Aujourd’hui, il est au lycée, en Seconde. Il a désiré reprendre le chemin de l’école, de lui-même : il voulait être dans la vie normale, être inséré classiquement comme tous les élèves. Désormais, tout se passe bien… même s’il a trois ans d’avance, et qu’il a 12 ans.

Le problème n’est jamais, à mon avis, le fait de sauter des classes : si Elijah a eu des problèmes au collège, c’est surtout parce que la mentalité au collège est extrêmement ancrée dans des notions de valeur, avec une notion de groupe importante, un rejet des différences, et notamment une stigmatisation des élèves “intellos”… alors qu’au lycée, chacun a le droit d’exister, avec des élèves qui ont une mentalité différente. Les lycéens n’ont plus aussi honte de se montrer travailleurs et intéressés par les sphères intellectuelles.

Finalement, trouvez vous que l’école est adaptée aux élèves surdoués ?

Bien sûr que non ! En fait, l’école “classique” n’est pas adaptée pour tous les enfants qui diffèrent de la norme, des surdoués aux dys, en passant par les élèves TDAH ou autistes – car elle n’est pas faite pour supporter les rythmes différents de ces jeunes. Un enfant parfaitement dans la norme bénéficiera d’une école qui suivra son rythme, au niveau du rabachage, du passement de classes chaque année… Alors que pour un élève qui va plus vite, la seule vraie solution proposée aujourd’hui en France, reste le saut de classe.

Les décloisonnements n’ont pas vraiment d’intérêt, car l’enfant lui-même ne sait pas où est sa place… et à la fin de l’année, le problème reste le même : cela ne sert à rien de décloisonner l’enfant dans une matière particulière si l’on fonctionne par niveaux, car au final, il finira par s’ennuyer de la même manière, au pied du mur de l’année suivante.

Il y a encore du chemin à faire, mais il y a des progrès, malgré tout : certains enseignants s’ouvrent aux enfants HPI, des conférences sont organisées par des académies, on en parle de plus en plus. Il est aujourd’hui possible de se faire entendre : les référents précocité académiques sont très bénéfiques pour rétablir le dialogue entre l’école et les parents, et pour faire respecter les droits des enfants à besoins particuliers par les enseignants. Ceux-ci sont des fois perdus, ne sachant pas quoi faire concrètement dans une situation qu’ils n’ont jamais connue… et les référents précocité peuvent les aider à comprendre le HPI et à savoir comment agir face à un élève surdoué.