Le tribunal administratif de Nantes a condamné l’État à indemniser un jeune homme blessé à l’oeil par une balle de gomme-cogne, tirée par un policier lors d’une manifestation lycéenne en 2007 devant le rectorat de la ville, a-t-on appris mercredi de source judiciaire.

L’État devra verser 48.000 euros à Pierre Douillard, 25 ans, qui a quasiment perdu l’usage de son oeil droit après avoir été touché par un tir de lanceur de balles en caoutchouc de défense 40X46 mm (« LBD40 »), le 27 novembre 2007, selon le jugement consulté par l’AFP.

Les juges administratifs ont considéré qu’une « faute » avait été commise dans l’organisation du service de police, en autorisant certains fonctionnaires à utiliser cette arme alors « en cours d’expérimentation », « sans encadrement juridique précis, avec une formation insuffisante » et à une distance bien inférieure à celle préconisée.

Le policier n’avait ainsi « bénéficié que d’une demi-journée de formation et uniquement sur des cibles statiques », souligne le jugement.

Le tribunal a cependant estimé que Pierre Douillard, alors âgé de 16 ans et en terminale littéraire, « aurait dû s’éloigner » quand des violences ont été commises contre les forces de l’ordre devant le rectorat, à l’issue d’une manifestation contre la loi dite « Pécresse » sur l’autonomie des universités, et qu’il ne s’était « pas désolidarisé de l’attroupement ».

La faute est ainsi partagée entre l’État et la victime du tir, selon le tribunal, qui fixe la part de responsabilité de chacun à 50%.

Le 21 octobre, lors de l’audience devant le tribunal administratif, le rapporteur public avait également conclu à un partage des responsabilités, mais avait jugé l’État responsable à hauteur de 70% et demandé à ce qu’il indemnise la victime à hauteur de 67.000 euros.

Pierre Douillard avait réclamé 172.000 euros de dommages et intérêts.

Au pénal, le tribunal correctionnel de Nantes avait relaxé le policier auteur du tir en avril 2012, considérant qu’il avait exécuté un ordre qui n’était pas manifestement illégal. La cour d’appel de Rennes avait confirmé ce jugement en octobre 2013.

« L’Etat est condamné, la dangerosité du LBD est reconnue par la justice. Pour autant, ce partage de responsabilités est indécent et obscène. On a des juges qui disent en creux: manifester, c’est s’exposer à être mutilé. C’est une atteinte au droit de manifester », a réagi Pierre Douillard après avoir pris connaissance de la décision, quasiment neuf ans jour pour jour après les faits. Il a dit « réfléchir à faire appel ».

Son avocat, Etienne Noël, s’est dit « globalement satisfait », bien que « scandalisé par le partage de responsabilités ». Le jugement « fait état d’une arme qui a un potentiel de dangerosité extrêmement important », argue Me Noël.

Avec cette décision, et deux rendues précédemment par d’autres juridictions administratives, « on est en train de construire une jurisprudence sur les armes de type gomme-cogne », relève l’avocat.

Le tribunal administratif de Paris avait été le premier, en décembre 2013, à condamner l’Etat à indemniser la victime d’un tir de « flash-ball », une arme moins précise que le « LBD40 ».

Au moins quatre autres procédures ont été lancées devant des juridictions administratives par des personnes grièvement blessées par des tirs de gomme-cogne, avec « l’objectif de faire interdire ces armes », selon Me Noël.

Dans un rapport sur les violences policières rendu public en mars, l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) recensait au moins 39 personnes grièvement blessées et une décédée par des tirs de lanceurs de balles de défense ces dix dernières années en France, dont 21 éborgnées ou ayant perdu la vue.