Des prières de rue, un niqab au coeur d’une violente agression, des habitants qui somment la mairie de faire « régner l’ordre »… Un an après la fermeture de la mosquée « radicale » de la commune proprette de Lagny-sur-Marne, la tension est latente.

Un après-midi de novembre, dans la cité enclavée d’Orly-Parc. Entre l’école maternelle et une pizzeria, une demi-douzaine d’hommes déroulent leurs tapis de prière sur le bitume humide.

Barbe fournie et jogging noir, Jérôme, qui préfère ne donner que son prénom, s’improvise porte-parole: « On a atterri ici car on n’a plus nulle part où aller. On a eu beau jouer l’apaisement, fonder une nouvelle association, trouver un imam reconnu: aux yeux de la mairie, on est passé du statut de musulmans sympas à celui de fichés S ».

Parmi les prieurs, certains ont des dossiers chargés. Assigné à résidence depuis le début de l’état d’urgence décrété après les attentats du 13 novembre 2015, l’un d’eux, qui demande l’anonymat, a purgé deux mois ferme cet été pour avoir dérogé au triple pointage quotidien au commissariat. « Un coup de tête. Après sept mois, j’avais besoin de prendre l’air », lâche-t-il.

Des « notes blanches » des services de renseignement, consultées par l’AFP, présentent ce jeune homme de 31 ans comme « un militant projihadiste inféodé » à l’ex-imam local Mohamed Hamoumi, parti au Caire fin 2014 et soupçonné d’avoir orchestré une filière de recrutement. Selon ces documents, le jeune assigné à résidence a été arrêté à la même période à la frontière hongroise, alors qu’il tentait de rejoindre la zone irako-syrienne.

Le mois dernier, les élus de cette ville de 21.000 habitants voisine de Disneyland Paris appelaient l’Etat à « empêcher les personnes répertoriées » de « faire du prosélytisme » sur la voie publique, dans un quartier prioritaire de la politique de la Ville.

Réponse du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve: « On ne peut pas me demander à la fois de fermer des lieux de culte lorsqu’il y a (…) des individus qui incitent au terrorisme, et me demander de rouvrir ces lieux pour qu’il n’y ait pas de prière de rue ».

– « Antichambre du jihadisme » –

C’était il y a un an, le 2 décembre 2015. Des dizaines de policiers et militaires investissaient en pleine nuit les préfabriqués qui faisaient office de salle de prière et le domicile de plusieurs fidèles. Bilan: 22 interdictions de sortie du territoire et neuf assignations à résidence d' »individus radicalisés ».

Mais, si la mosquée était depuis longtemps dans le viseur du renseignement, qui y voyait « une antichambre du jihadisme national et international », le résultat des perquisitions est maigre.

« Rien n’a été découvert dans la mosquée », selon la procureure de Meaux, qui n’a ouvert que deux procédures judiciaires, pour détention d’un pistolet à grenaille et « suspicion de travail dissimulé » concernant une école coranique clandestine.

Lors de la fermeture, l’association gérant la mosquée et la mairie UDI avaient dénoncé un « coup de comm » d’un gouvernement en mal de « symboles » avant les élections régionales. La municipalité affirme alors que ne subsiste à Lagny « qu’une queue de comète radicalisée », grâce au « grand ménage » effectué depuis un an avec la communauté musulmane pour éviter de devenir le « Lunel de Seine-et-Marne », en référence à cette ville de l’Hérault d’où une trentaine de personnes sont parties en Syrie: nouvelle association, nouveaux hommes, nouvelle mosquée…

Un an plus tard, l’union sacrée entre la mairie et les musulmans a cédé la place à la guerre ouverte.

– « Descendre avec leur carabine » –

« Ces histoires de prières de rue, je ne sais pas comment ça va finir. Les gens sont tellement exaspérés que ça peut péter à tout moment: certains parlent de descendre avec leur carabine », souffle le directeur de cabinet du maire, Pierre Tebaldini. « L’Etat nous a abandonnés, il nous dit +démerdez-vous+. »

En septembre, une violente altercation a éclaté entre une personne âgée et un fidèle de la mosquée fiché S. Au coeur du différend: une remarque sur le voile intégral (niqab) de la compagne de ce dernier.

Le jeune homme de 27 ans, dont le nom apparaît aussi dans le dossier de l’attentat contre une épicerie casher à Sarcelles en 2012, a écopé de six mois de prison pour avoir frappé le vieil homme, selon une source judiciaire. Dans un souci d’apaisement et de discrétion, l’affaire a été jugée rapidement, souligne cette source.

Car, à Lagny, certains esprits sont à vif. La tranquille commune fait désormais figure d’épicentre d’un département « à risque » où 275 personnes sont suivies dans le cadre de la lutte contre la radicalisation violente, et une dizaine assignées à résidence, selon une source judiciaire (contre seulement cinq en Seine-Saint-Denis, par exemple).

« Avez-vous abandonné l’idée de faire régner l’ordre dans cette minuscule cité? », s’agace dans un courrier au maire un habitant d’Orly-Parc, las des prières qui réunissent jusqu’à 50 personnes.

Dans un bar du centre, Kevin Locy, 20 ans, trouve que « c’est n’importe quoi de laisser les gens comme ça dans la rue ». « C’est grave que la ville ne fasse rien », dit-il. « Ils n’ont qu’à aller prier chez eux », s’énerve Olivier, qui vit ici depuis 32 ans.

Jean-Charles Perroux, qui tient depuis 30 ans la pharmacie d’Orly-Parc, prend lui la défense des prieurs de rue. « Ils sont venus nous voir pour nous expliquer leur démarche. Il y a beaucoup de respect dans cette cité où il fait bon vivre », assure-t-il. Pour lui, « ce sont seulement des gens qui veulent faire aboutir une revendication: obtenir un lieu de culte ».