Jack Lang, actuel président de l’Institut du Monde Arabe et ancien ministre de l’Éducation (1992-1993 ; 2000-2002) vient de publier Pour une révolution scolaire (édition Kero).

Jack Lang
Votre livre s’adresse davantage aux hommes et femmes politiques qu’aux enseignants. Vous assurez toutefois n’être « candidat à rien ». Qu’est-ce qui a motivé sa rédaction ?
Ce livre présente les réflexions et les sentiments qui sont les miens aujourd’hui et je n’ai pas cherché à m’adresser spécifiquement à tel ou tel. Il est vrai que j’interpelle en premier lieu les hommes et femmes qui pensent, conçoivent et mettent en œuvre la politique éducative de notre pays. Car mon espoir, c’est que les idées que je défends dans cet ouvrage fassent leur chemin jusqu’à ceux qui ont, ou auront demain, le pouvoir d’agir au plus haut niveau.
Dans la première partie, vous dressez un bilan sévère de la politique menée ces dernières années. Vous semblez à la fois déçu et en colère.
Oui, c’est tout à fait ça, j’y exprime une colère et une déception, mais il faut toutefois relativiser celles-ci. N’oublions pas de comparer ce qui a été fait, même imparfaitement depuis 2012, au désastre que fut la gestion de la question de l’enseignement par Nicolas Sarkozy et Xavier Darcos. Souvenons-nous notamment des suppressions massives de postes et des coups portés à la formation des enseignants… Depuis l’arrivée de François Hollande, nous avons renoué avec une manière de faire respectueuse des enseignants. Les deux périodes n’ont donc rien de comparable. Mais je ne cache pas que j’aurais aimé que son élection entraîne au sein du ministère de l’Éducation nationale ce que j’appelle un « esprit commando », que l’on agisse vite et efficacement. Or les débuts, avec Vincent Peillon puis Benoit Hamon, ont été chaotiques.
Vous êtes particulièrement critique sur l’action de Vincent Peillon.
C’est un homme très intelligent, mais pourquoi s’est-il empêtré dans cette « loi de refondation » verbeuse et inutile ? Dès les premières semaines, il aurait fallu des actes forts, des décrets, des circulaires… Le système tel qu’il existe aujourd’hui permet d’agir sans qu’il soit nécessaire de bâtir de nouvelles lois qui prétendent réinventer le monde et qui, au final, ne réinventent rien du tout. Beaucoup de temps a été perdu. De même, il avait été annoncé pendant la campagne présidentielle, la création d’écoles professionnelles afin de former les futurs enseignants. Pourquoi Vincent Peillon a-t-il fait le choix de mettre ces Écoles supérieures du professorat et de l’éducation sous la coupe des universités ? Les ESPE auraient dû être bien davantage tournées vers l’apprentissage du métier. Bien sûr, les futurs enseignants doivent se nourrir de l’excellence de la recherche dans leurs disciplines et ceci, en lien avec les universités. Mais ces dernières ne sont pas compétentes lorsqu’il s’agit de préparer concrètement au métier d’enseignant. Comment expliquer ces choix ? Peut-être par un manque de conviction ; peut-être par une forme de pression de la part du monde universitaire…
Vous dénoncez aussi le fond et la forme de la réforme des rythmes scolaires.
Voilà bien une réforme que je n’aurais jamais mise en place ! Il fallait, bien entendu, rétablir la matinée honteusement supprimée par le gouvernement de droite. Mais cela suffisait amplement. Il était inutile d’inventer de nouveaux horaires ou de mettre en place ces activités périscolaires. Celles-ci sont, non seulement, facteur d’inégalités, mais en plus elles mettent, en partie, hors du champ de responsabilités des enseignants les activités artistiques et culturelles.
Si vous épargnez davantage le travail de Najat Vallaud-Belkacem, vous fustigez la suppression des classes bilangues et européennes. Pourquoi ?
Il faut le redire, les choses sont bien mieux conduites depuis l’arrivée de Najat Vallaud- Belkacem. Sa réforme du collège va dans le bon sens. L’architecture est pertinente, le principe d’un tronc commun disciplinaire auquel s’ajoutent les enseignements pratiques interdisciplinaires est intéressant. Mais je déplore en effet la quasi-suppression des classes bilangues et européennes. On ne peut pas casser une filière d’excellence au nom d’un principe de démocratisation. De la même manière, reléguer les langues anciennes — qui sont des voies extraordinaires à la formation de l’esprit critique – aux enseignements interdisciplinaires m’apparaît très regrettable. Je l’ai écrit dans le livre, la gauche doit cesser d’avoir peur de l’excellence, car il s’agit d’un magnifique levier pour le progrès de tous.

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Dans la seconde partie de votre essai, vous indiquez cinq priorités pour mettre en place la révolution scolaire que vous appelez de vos vœux : « la langue française », « la formation des enseignants et la recherche en éducation », « placer l’art et la culture au cœur de l’école », « la quête de la mixité et « établir l’école du respect ». Tout cela n’apparaît pas très… « révolutionnaire » ?
Détrompez-vous. Oui, il s’agit bien d’une révolution car, tel que je le conçois, cela consiste à mettre les choses à l’endroit, à retrouver le chemin du bon sens.
Réorganiser notre système autour de la langue me semble essentiel, c’est d’ailleurs ce que j’avais commencé à faire en 2000-2002 avec la forte augmentation des horaires consacrés à la langue française dans le Primaire.
L’Éducation nationale est une très belle et grande maison dont nous pouvons être fiers. Elle a bien sûr ses défauts, mais conserve une capacité d’actions incroyable. Il faut que cessent ces discours tenus dans les « cafés du commerce » politiques et médiatiques qui conspuent en permanence son ministère. Je ne doute pas un instant que s’il y a la tête de ce dernier une équipe qui sait à la fois agir avec détermination et finesse, les acteurs de l’éducation répondront présents.
Le divorce semble marqué entre les enseignants et le Parti Socialiste. Croyez-vous possible un « rabibochage » avant la prochaine échéance électorale ?
J’y crois et je sais que le président y tient beaucoup. Ce divorce partiel s’explique en partie parce que nous n’avons pas assez mis en lumière les nombreuses bonnes initiatives qui ont été prises. Je pense notamment au recrutement massif d’enseignants ou à la revalorisation salariale. Cependant une politique éducative ne se construit pas uniquement par des mesures techniques, mais aussi par la manière d’approcher les problèmes, un climat, une atmosphère à faire émerger…
Les enseignants, qui sont directement au contact de ceux qui vont faire la France de demain, ont plus que jamais un rôle déterminant. Ils doivent se sentir aimés, respectés et écoutés. Ils méritent non seulement la reconnaissance, mais aussi le soutien actif de tous nos concitoyens. Dans chaque école de France, il y a des professeurs aux talents extraordinaires. Ils ne manquent ni d’idées ni d’engagements et n’attendent pas une nouvelle loi pour agir, expérimenter. Il faut partir de cette richesse pour construire l’école de demain.
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