portrait paysage persoComment est né votre projet pédagogique autour de la désinformation ?

Je me suis penché sur le sujet il y a 2 ans. J’avais reçu sur mon fil Facebook et dans mes e-mails, de fausses informations provenant de contacts adultes. Et je me demandais comment il était possible d’aider les jeunes à trier ce qui leur tombe dessus, sur Internet. J’avais constaté combien enseignants et parents étaient désarmés face à cela.

J’ai décidé, en tant qu’ancienne journaliste, de créer une séquence sur comment s’informer et communiquer sur les réseaux sociaux et Internet. J’enseigne en maternelle, mais j’ai proposé mon projet à la prof de CM2 de mon école (à Taninges, en Haute-Savoie), qui m’a demandé d’intervenir le vendredi matin, pendant 3 mois.

En quoi consistent précisément vos ateliers ?

Depuis les attentats de janvier 2015, je fais un atelier toutes les semaines. Le but : apprendre à démêler l’information de l’intox. Nous voyons d’abord ce qu’est une vraie info, comment elle se construit. Nous explorons le métier de journaliste, afin de montrer qu’il s’agit d’une profession rigoureuse, exigeant un travail scrupuleux de vérification des faits.

Les ateliers sont souvent ludiques. Je donne une grande place à l’improvisation théâtrale : les enfants se glissent dans la peau de reporters, lors de « jeux de rôle » qui permettent d’appréhender les notions d’objectivité et de subjectivité, au cœur de l’esprit critique. Une partie de la classe joue les « intervieweurs », une autre les « interviewés ». Les “intervieweurs” doivent deviner qui dans le groupe doit être interrogé, quelles questions poser. Pour comprendre qu’il existe des points de vue et des éclairages divergents, les élèves le vivent. Ces jeux de rôle permettent de comprendre que la distanciation et l’esprit critique sont nécessaires pour aborder une info et se forger son opinion.

Suite à cela, la seconde partie de la séquence porte sur les fausses informations et la façon de les reconnaître. Comment faites-vous ?

Le 9 mars 2016, les Assises du Journalisme de Tours ont décerné à Rose-Marie Farinella, le prix du projet pédagogique d’éducation aux médias.

Le 9 mars 2016, les Assises du Journalisme ont décerné à R-M Farinella, le prix du projet pédagogique d’éducation aux médias.

J’explique pourquoi de fausses infos se retrouvent dans les médias – à cause de négligences… ou de canulars. Une mission consistait par exemple à analyser des articles, dont certains provenant du Gorafi, un site d’information parodique.

Pour dépister les « hoax » (infaux), les élèves apprennent à maîtriser la méthode du « QQCOQP » (Qui ? Quoi ? Comment ? Où ? Quand ? Pourquoi ?), utilisée par les journalistes. Ils apprennent l’importance de croiser les sources.

En analysant les sites « d’infaux » qui se veulent sérieux, nous avons abordé le complotisme. Nous nous sommes par exemple penché sur des sites relayant la théorie sur « les vrais responsables des attentats du 13 novembre ».

Mes séances insistent sur l’importance de la contextualisation des textes et des images. Je montre notamment qu’une photo peut être manipulée de mille et une manières. Nous avons dans ce cadre utilisé des photos de hoax post-13 Novembre. Je donne aux élèves des outils de « hoaxbusters » (dénicheurs  d’infaux) : par exemple, pour retrouver l’origine d’une photo, ils utilisent TinEye et Google Image.

Votre objectif est de donner des “cours d’esprit critique” aux enfants. Pourquoi dès le primaire ?

Internet est un outil d’une richesse extraordinaire, mais il faut savoir l’utiliser. Les enfants, dès le plus jeune âge, vont sur Internet et les réseaux sociaux. Plus de 70% des élèves qui assistent à mon atelier s’y rendent. Problème : ils ne sont pas armés du tout face aux infos qui leur sautent au visage ! Ils ont besoin de règles de prudence et de clés pour éviter les pièges.

J’ai constaté qu’avant d’entrer dans l’adolescence, les élèves étaient beaucoup plus réceptifs à nos discours. Ils sont ouverts à tout, ne sont pas encore en « rébellion » et sont plus enclins à nous écouter. Leur regard est acéré, même plus que celui de certains adultes ! Toute mon expérimentation, l’année dernière et cette année encore, me prouve que c’est à leur portée. Donc pourquoi attendre ?

Le but est de permettre aux enfants de résister à toute manipulation, afin qu’ils deviennent des ‘cyber-citoyens’ responsables et avertis. Suite à mes séquences, je constate que mes élèves ont compris l’importance de rester méfiant. Ils se posent des questions – à partir du moment où ils se questionnent, j’ai gagné : ils ne seront pas sceptiques sur tout, mais seront moins manipulables. Ils pourront même, j’espère, sensibiliser à leur tour les adultes !

Vous partagez votre séquence sur Internet avec les autres enseignants intéressés…

J’ai posté l’intégralité du scénario pédagogique d’éducation aux médias « info ou intox sur le web, comment faire la différence dès le primaire? » sur le site de l’académie de Grenoble. Mon objectif est aussi que des enseignants s’en emparent, car l’enjeu – aider les enfants à résister à la manipulation -, est bien trop important.

Dessins d'élèves ayant suivi les ateliers de R-M Farinella, dans le cadre d'une exposition virtuelle sur "comment faire la différence entre info et intox sur le web".

Dessins d’élèves ayant suivi les ateliers de R-M Farinella, dans le cadre d’une exposition virtuelle sur « faire la différence entre info et intox sur le web ».