
Salle de classe – osorioartist – fotolia.com
L’ergonomie qui a su se faire une vraie place dans le monde de l’entreprise peine à s’installer sur les bancs de l’école. Bien qu’elles soient rarement en tête de liste des revendications des enseignants, leurs conditions « pratiques » de travail sont pourtant loin d’être optimales.
« Attention, l’ergonomie n’est pas une ‘science de l’objet’, mais une science humaine qui vise à rechercher la meilleure compatibilité possible entre les besoins de ceux qui travaillent et les contraintes qu’on leur impose », précise Nicole Delvolvé, spécialiste en ergonomie appliquée au monde scolaire et ancienne enseignante chercheur à l’Université de Toulouse en neuroscience.
Autrement dit l’ergonome généraliste ne se préoccupe pas uniquement de l’adaptation des mobiliers et des outils, mais aussi de l’organisation et de l’environnement du travail, y compris en dehors du temps passé dans l’entreprise.
« À l’école, tout compte pour créer cet équilibre entre besoins et contraintes, poursuit la spécialiste. Le matériel bien sûr, mais aussi l’aménagement des temps scolaires, les pédagogies et supports didactiques, les espaces ou encore la prise en compte de la vie de famille : l’enfant dort-il suffisamment ? Arrive-t-il énervé par de longs transports ? etc. » Selon Nicole Delvolé, le système éducatif français est d’abord organisé pour « transmettre des ‘savoirs savants’ » et l’approche ergonomique y est quasiment absente, « y compris dans la formation des enseignants ».
Vous êtes bien assis ?
Pour chercher une trace d’ergonomie à l’école, on peut regarder du côté des didacticiels qui sont appréciés sur ce critère, mais aussi du mobilier, notamment pour les plus petits. Chapeauté par le ministère de l’Éducation nationale, le Prix Jean Prouvé du mobilier scolaire de demain récompense d’ailleurs les meilleures créations des écoles de création en design et en architecture et des professionnels en la matière.
« C’est une initiative louable, approuve Cathy Bonnety, kinésithérapeute et ergonome, et il existe en effet de nombreux meubles conçus pour une utilisation à l’école, comme des chaises basses adaptées aux professionnels de la petite enfance.
Mais ce matériel arrive rarement dans les établissements, d’abord parce qu’il coûte cher et ensuite parce que l’ergonomie ne fait pas du tout partie de la culture de l’Éducation nationale. »
Membre de l’Association Française de Promotion de la Santé Scolaire et Universitaire, Cathy Bonnety a constaté dans les écoles fréquentées par ses propres enfants « à quel point les conditions de travail sont révoltantes. En Elémentaire beaucoup d’enfants ne disposent que de bureaux fixés aux chaises. Un mobilier d’un seul bloc qui contraint les plus petits à avoir le bout des fesses sur le bord de l’assise et les plus grands à se plier en deux. »
Phénomène d’autant plus grave que, selon l’ergonome, ces « mauvaises postures » finissent par devenir des « postures de référence pour le cerveau ». Quant aux enseignants qui passent des heures debout près du tableau, « ils devraient disposer de tabourets hauts dotés d’un ‘repose dos’, complète-t-elle. Cela soulagerait leurs rachis et éviterait les troubles circulatoires qui en découlent souvent. »
Ça devrait faire du bruit
Dans l’école primaire fréquentée par sa plus jeune fille, Cathy Bonnety s’est amusée – si l’on peut dire – à mesurer les niveaux sonores. À la cantine où sous le préau, les pics dépassaient souvent les 120 dB et les moyennes approchaient les 80 dB. « 80 dB c’est le seuil à partir duquel, en entreprise, une action est requise selon la loi .»
Et, à titre de comparaison, 100 dB correspondent au volume sonore perçu à deux mètres d’un marteau piqueur d’après le site du ministère de l’Environnement !
« Beaucoup de professeurs souffrent de dysphonie à force de forcer sur leur voix ! souligne l’ergonome. Comme on ne peut ni bâillonner les enfants ni faire porter un casque aux enseignants, il faudrait agir sur les sources de la propagation du bruit. Mais poser des revêtements adaptés, isoler les pieds de chaises et bureaux, traiter les plafonds ou installer des décorations absorbant les sons est long et onéreux. »
La législation évolue toutefois puisque depuis 1995 les nouvelles constructions scolaires doivent, enfin, répondre à des normes en matière d’acoustique. Le site www.bruit.fr note toutefois que ce texte de janvier 1995 a été modifié en 2003 et que « dans certains cas, les exigences (de ce nouvel arrêté) sont légèrement inférieures à celles du texte précédent ».
Éducation nationale : à quand une nouvelle posture ?
Nos ergonomes remarquent également que l’ambiance lumineuse des classes est souvent peu modulable et/ou mal pensée, comme en témoignent les nombreux néons projetant l’ombre de l’élève sur les cahiers. « Certes, on construit désormais de belles écoles bien lumineuses orientées plein Sud mais pour lesquelles on ne prévoit pas de rideaux ! grince Nicole Delvolvé. Or c’est une contrainte qui pèse beaucoup sur l’attention, car le cerveau est mobilisé à traiter ces contrastes lumineux violents…» Quant à l’air que respirent élèves et professeurs, il est trop chaud ou trop froid et bien souvent pollué et vicié.
Mais pour Cathy Bonnety, c’est sans doute la question de l’hygiène qui est la plus préoccupante pour les élèves. « Comme le soulignait en 2013 le rapport de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements, les toilettes sont trop peu nombreuses, sales, manquent de papier… Conséquences, un tiers des collégiens et lycéens ne les utilisent jamais mettant ainsi en danger leur santé. »
Faire entrer les neurosciences dans le champ scolaire
Pourquoi toutes ces questions sont-elles si peu prises en compte ? Selon Nicole Delvolvé « depuis l’après-guerre un courant de pensée a posé, et imposé, l’idée que ce sont les interactions sociales qui favorisent le mieux la transmission des enseignements. Ce courant de pensée explique d’ailleurs que les sciences de l’éducation sont aujourd’hui une spécialité de la sociologie. Sans être totalement fausse, cette approche occulte qu’il s’agit d’abord de s’adresser à des ‘êtres biologiques’ qui ont besoin de repos, d’une alimentation correcte, de vivre des émotions positives, etc. On oublie que les enfants ne grandissent pas tous à la même vitesse, dans le même environnement, dans le même type de famille… Il serait temps que les neurosciences entrent dans le champ scolaire : on a 40 ans de retard par rapport à ce que l’on sait du fonctionnement du cerveau et de la mémoire humaine. Quand je constate que dans certaines maternelles les petits de moyenne section n’ont plus le droit de faire la sieste, je me dis qu’on a perdu le respect de l’enfant. »
Cathy Bonnety qui a travaillé 5 ans comme ergonome pour la médecine du travail est quant à elle scandalisée par le fossé qui existe avec le monde de l’entreprise. « Pour bien des sociétés, des textes régissent l’emplacement des postes de travail par rapport à la lumière, au bruit, aux risques…
Pour l’école, rien ou presque. L’État n’applique pas le Code du travail à ses propres salariés que sont les enseignants et il ne tient pas compte de la vulnérabilité propre aux enfants ! Malheureusement, tant qu’il n’y aura pas une volonté politique d’investir sur ces questions de santé, tous les constats des ergonomes resteront vains. »
Ah!!! ça fait des années que les médecins scolaires, catégorie de professionnels en voie de disparition malheureusement , le constatent et le disent mais qui les écoute?
Bruit, inconfort pour les élèves et les enseignants, mauvais éclairage, ordinateurs mal positionnés…combien d’études et de constats inutilisés…et d’effets négatifs méconnus des parents?
Espérons que d’autres prennent le relais pour améliorer cette situation.