Lylia Abrouk

Lylia Abrouk

Votre situation professionnelle et personnelle depuis 2007…

Après mon année en tant qu’ATER à Montpellier, en 2006, tandis que mon mari (depuis 2009) était alors maître de conférence à Montpellier, j’ai candidaté sur un poste de maître de conférence à Dijon et Paris. Classée première à Dijon, j’ai naturellement pris le poste, en 2007. Entre 2007 et 2010 j’avais un studio à Dijon du lundi au jeudi. Cela ne posait pas de problème particulier. Puis nous nous sommes mariés, en 2009, et avons eu notre premier enfant en 2010.

Votre vie de jeune mère, entre Dijon et Montpellier…

C’est devenu très compliqué de partir. Je laissais un bébé, que j’allaitais, à Montpellier pour aller enseigner à Dijon. En 2010, j’ai demandé une convention entre l’UFR de sciences et technique de Dijon et l’université de Montpellier. J’ai pu enseigner 96 heures à Montpellier et 96 à Dijon, où je passais deux jours par semaine. C’est la seule fois où j’ai eu une solution à mon problème.

Votre situation après votre deuxième enfant…

En 2012, notre enfant est né et cela est devenu encore plus compliqué. La convention était non renouvelable. J’ai dû enseigner 192 heures à Dijon. Heureusement, certains collègues essayaient de m’arranger comme ils pouvaient quand mon fils avait 40 de fièvre par exemple. Puis est venu mon troisième enfant…

Votre perception du regard de vos collègues et de l’université…

Certaines personnes laissent carrément entendre que dans votre situation vous ne devriez pas avoir trois enfants. Il vous arrive de penser qu’ils ont peut-être raison… A force d’entendre des gens vous dire que ‘la femme d’untel fait ceci’ ou vous demander ‘pourquoi ton mari ne vient pas te rejoindre ?’, vous finissez même par culpabiliser. Un collègue m’a conseillé le congé parental. Un congé parental, c’est aussi un an sans publier ! Du côté de l’UFR de Dijon, on me dit qu’on est désolé mais que ma demande de convention est refusée. Et puis on me précise que je peux toujours faire une demande de mise en disponibilité. On me pousse dehors ! C’est tout de même insensé d’arriver à ce niveau d’études et de se poser la question du choix entre métier et enfants !

Vos tentatives de mutation…

C’était plus naturel pour moi d’envisager de revenir à Montpellier, car j’ai une équipe d’accueil ici, alors qu’il n’y a pas la thématique de recherche de mon mari à Dijon.

Un des membres des jury a demandé pourquoi ne pas passer mon habilitation à diriger la recherche et postuler pour un poste de professeur d’université au lieu d’une mutation en maître de conférences. C’est difficile et il faut être dans de bonnes conditions pour pouvoir rédiger cette habilitation. Ce n’est pas mon cas… J’ai tenté deux autres mutations, sans succès. Les postes en mutation que j’ai vu passer sont généralement faits pour un profil particulier, un candidat préféré.

Votre avis défavorable du conseil académique…

J’ai pris un CRCT (Congé pour recherche ou conversions thématiques) et ai passé six mois dans une équipe à Montpellier. J’ai un projet de recherche accepté et j’ai encadré une thèse dans cette équipe. Avec ce projet et le CRCT, il n’y a rien à dire niveau recherche. J’ai postulé sur un poste en mutation pour la rentrée 2016, avec lequel j’étais vraiment en adéquation niveau recherche et enseignement. Mais le conseil académique, qui vérifie l’adéquation de la candidature avec le poste, m’a donné un avis défavorable. J’ai demandé les rapports et il y a plein d’erreurs. Le Snesup a communiqué là-dessus.

Il y est dit, notamment, que j’enseignais en IUT, alors que j’enseigne à l’UFR sciences et techniques, que je fais un CRCT et que le projet était en cours de rédaction, alors qu’il est accepté… Le poste a été annulé suite à d’autres erreurs, indépendantes de celles-ci, mais j’ai fait un recours pour que les gens de la commission ne retiennent pas que je suis ‘faible scientifiquement’, comme le conclut le rapport. J’ai eu la prime d’excellence scientifique, en 2011, et, en 2015, la prime d’encadrement doctoral.

Votre espoir à faire valoir votre droit au rapprochement de conjoint…

La loi sur le rapprochement de conjoint est très récente. Certains estiment tout de même que cette loi est en contradiction avec l’autonomie des universités et se disent « on ne va pas se laisser imposer quelqu’un par les gens du ministère ».

Vos attentes par rapport au ministère…

J’ai appelé le ministère. On m’a dit : ‘nous on ne peut rien faire’. Je vais leur envoyer une lettre pour expliquer ma situation, et au-delà, pourquoi la loi sera toujours contournée, en donnant l’exemple de Montpellier. Il y aura toujours des experts pour empêcher la loi de passer, en faisant les choses de manière légale.

Mais il doit y avoir des solutions pour permettre les rapprochements de conjoints dans le supérieur.

Le ministère doit jouer son rôle d’employeur. Il pourrait, par exemple, obliger le directeur de la composante à faire en sorte de me laisser aller à Montpellier en échange d’un poste d’ATER.

Votre moral…

J’ai des moments d’optimisme et de démoralisation. Si on me disait que ce sera réglé dans trois ans, je pourrais tenir, mais je n’en vois pas le bout ! A chaque rentrée, c’est dur de laisser mes enfants, de passer 8 heures par semaine dans le train. A Dijon, je dors une fois chez une collègue, une fois à l’hôtel. Il y a eu des jours où je n’étais pas loin de lâcher. Mais j’aime mon métier, je l’ai choisi. J’ai réussi le concours de maître de conférences, comme tous les chercheurs et maintenant on me demande pourquoi je ne pars pas. Pour faire quoi ? Rester à la maison? J’aime le couple enseignement-recherche. Je ne vais pas lâcher un métier que j’aime !