
Héloïse Dufour, d’Inversons la Classe, veut mettre la classe inversée dans la « malette pédagogique de chaque enseignant ».
Pour vous, la classe inversée est-elle une révolution ?
La classe inversée est une révolution, mais pas celle que l’on croit. Ce n’est pas une révolution pédagogique, dans la mesure où les principes qui la sous-tendent existent depuis longtemps. On la retrouve dans les courants de pédagogie nouvelle du début du XXe siècle.
En revanche, ce qui est révolutionnaire, c’est la diffusion “virale” de la classe inversée, qui se fait par les acteurs de l’éducation, sur le terrain. C’est une révolution de l’éducation, au sens où ce sont les acteurs, dans les classes, qui s’en emparent et la partagent – sans que cela soit imposé par l’Education nationale. Des pratiques se diffusent entre enseignants. Par la rapidité de ce mouvement de terrain, c’est vraiment une révolution.
Certains, comme Paul Devin, considèrent que les tenants de la classe inversée diabolisent le cours magistral et ont tort de se focaliser sur une seule méthode…
Bien sûr que nous ne devons pas nous focaliser sur une seule méthode ! Inversons la Classe est une association sur la classe inversée, mais ça ne veut pas dire que nous pensons que le reste est à jeter. Notre objectif, c’est que la classe inversée fasse partie de la malette pédagogique de chaque enseignant, et pas que tout le monde décide de n’utiliser que cela à longueur de temps.
L’un des intérêts de la classe inversée, c’est qu’elle peut être adaptée, et que l’enseignant peut la faire évoluer. Il existe une grande diversité de pratiques. Certains profs intègrent la classe inversée dans leurs projets alors qu’ils sont déjà en pédagogie active. D’autres finissent par faire visionner leurs capsules en classe – ce n’est pas la preuve d’une quelconque limite, cela signifie que leur pratique évolue.
Pas question d’opposer classe inversée et cours magistral. Les deux ne sont pas antinomiques. Le cours magistral peut avoir son utilité, l’enseignant ayant parfois besoin de s’exprimer devant toute la classe. Un grand nombre de profs utilisent la classe inversée, mais aussi d’autres méthodes à côté, si nécessaire.
Que répondez-vous à l’argument selon lequel la classe inversée, avec ses capsules à visionner chez soi, serait inégalitaire ?

Nicolas Lemoine, prof de maths au collège Liberté de Drancy, pratique la classe inversée.
Il y a des inégalités, mais elles sont moindres qu’avec le système classique. Des devoirs sont aujourd’hui donnés à la maison, et les élèves sont en inégalité devant eux. Certains ont leurs parents en soutien, d’autres non… La capsule permet de réduire ces inégalités : on ne peut pas être bloqué devant une vidéo, contrairement à un exercice.
Quant à la question de l’accès au numérique, il y en a, bien sûr, mais elles tendent à se réduire – aujourd’hui, 95% des familles avec enfants ont accès à Internet. Il reste des enfants sans accès, mais les enseignants y sont sensibles, puisque l’une des motivations pour passer en classe inversée, c’est de pouvoir mieux s’occuper des élèves en difficulté. Les profs commencent toujours par demander qui est équipé ou non, et mettent en place des stratégies alternatives en classe pour ceux qui ne peuvent pas regarder les vidéos chez eux : elles sont consultables au CDI, sur des tablettes…
Ce que me disent les enseignants, c’est qu’un élève en difficulté sera perdu à la maison, où il est seul, s’il est déjà perdu en classe. Alors que s’il n’a pas regardé sa capsule avant de venir en classe, il pourra être aidé à l’école. Avec la classe inversée, on est dans le côte à côte : le prof peut davantage s’occuper de ceux qui ont le plus besoin d’accompagnement.
La classe inversée n’est pas une baguette magique. Elle ne résout pas tous les problèmes, mais elle aide à lutter contre les inégalités scolaires. Selon notre propre enquête, 80% des enseignants disent que la classe inversée permet d’améliorer les résultats des élèves les plus en difficulté – les devoirs à la maison sont moins inégalitaires, et les besoins individuels sont mieux pris en compte en classe. On n’est pas obligé de faire de la classe inversée pour faire de la différenciation, mais elle la facilite.
Selon vous, on peut très bien faire de la classe inversée sans numérique…
En critiquant la classe inversée comme tournant autour des TICE, on mélange les choses. Le numérique est un outil, pas une fin en soi. La classe inversée ne remotive pas les élèves grâce à lui, mais grâce à une stratégie pédagogique. C’est ce qui est fait en classe qui change les choses. Le numérique peut motiver les élèves de manière transitoire, mais ce qui motive les élèves, c’est d’avoir des activités en classe engageantes. Attention à ne pas caricaturer la classe inversée. On peut en faire sans numérique. Les TICE facilitent juste grandement les choses.
Si vous voulez échanger sur la classe inversée, rendez-vous au CLIC 2016, le Congrès Francophone Classe Inversée qui se tiendra du 1er au 3 juillet à Paris. Ouvert à tous !
http://www.clic2016.com
Si vous voulez avoir une perspective critique (dans le sens universitaire du terme) sur la classe inversée dans l’enseignement des langues, rendez-vous sur cette page de blog:
http://www.christianpuren.com/2016/01/31/a-propos-de-la-classe-invers%C3%A9e-dans-l-enseignement-secondaire-des-langues/
Vous y trouverez entre autres une réponse d’Héloïse Dufour à des critiques, et, de ma part, une réponse à sa réponse.