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Jean-Marc Roosz est aussi président de l’association « Ecole 2 demain » – une plateforme promouvant la scolarisation des jeunes handicapés / Photo : Poonam Roosz

Que reprochez-vous au système actuel de scolarisation des enfants dys ?

Il faut déjà planter le décor. Les troubles dys sont rentrés dans la loi handicap de 2005, leur donnant accès au projet personnalisé de scolarisation (PPS).

Le PPS permettait aux professionnels du soin (neuropsychologues, ergothérapeutes, orthophonistes) d’apporter des contributions pertinentes dans le projet pédagogique de l’enseignant. Les parents étaient incités à prendre contact avec la MDPH (Maison du handicap) pour demander une reconnaissance du handicap, et à réaliser un vrai diagnostic, par un médecin spécialisé.

Il s’agissait donc de promouvoir la reconnaissance des troubles dys comme handicap, et la nécessité absolue du diagnostic. Mais il y avait, à l’Ecole, un mouvement anti-médicalisation, considérant les dys comme un simple « symptôme » produisant des difficultés scolaires durables.

Ce déni des troubles a débouché sur la mise en place du PAP (Projet d’Accompagnement Personnalisé) en 2015 – un dispositif hors du champ du handicap, qui faisait l’affaire de bien du monde : il allait dans le sens de la « démédicalisation », de l’allègement de la charge de travail au sein des MDPH , et des économies – car qui dit PAP, dit pas d’AVS et pas de dotations de matériel.

Pourquoi êtes-vous critique vis-à-vis du PAP ?

Le PAP est dangereux : il discrédite les troubles dys et dévalorise leur prise en charge. Il est réputé s’adresser à des enfants dont les troubles sont légers, mais hors diagnostic. Qui peut alors affirmer que les troubles sont légers ? Le médecin traitant ou scolaire fait juste un “constat des troubles”.

Le problème est que beaucoup d’enfants compensent : leurs stratégies font que leurs troubles peuvent apparaître comme légers, dissimulant des troubles plus importants, identifiables au travers de bilans pluridisciplinaires.

Une telle compensation par l’élève ne dure qu’un temps et le risque pour lui est d’échouer durablement, de décrocher au fil du temps. Les enfants concernés tombent souvent dans la dépression à l’adolescence, car ils ont tiré sur la corde, faisant d’énormes efforts pour compenser… Ils sont tout le temps en échec, personne ne reconnaît leur valeur ni leurs efforts. Ils craquent.

Certains enseignants ont l’impression de maîtriser le sujet, ce qui peut être très néfaste. Exemple, si en CE1 un prof détecte un problème… on mettra en place un PAP, qui sera poursuivi en CE2, mais sans répondre aux besoins réels de l’élève. Les problèmes perdureront, jusqu’à ce qu’en CM1, on commence à faire des bilans approfondis. Le temps nécessaire aux prises de rendez-vous, l’enfant obtiendra un PPS en 6e… mais dans quel état ?

L’accompagnement des dys en milieu scolaire était adapté avant le PAP, quand médecins et profs travaillaient en tandem – plus aujourd’hui. Il y avait autrefois une prise en considération du handicap des élèves par les enseignants qui acceptaient de ne pas être compétents et d’écouter les professionnels extérieurs à l’école. Il y avait un “rappel” à la dimension “troubles” et handicap. Avec le PAP, ce n’est pas du tout le cas.

Quel est donc le rôle de l’enseignant face aux troubles dys ?

Son rôle est majeur car il est le plus à même de repérer les troubles. Ce qui ne signifie pas diagnostiquer mais détecter des signes – par exemple, la fluctuation importante des résultats d’un jour sur l’autre ou des échecs inexplicables. L’enseignant doit ensuite pouvoir orienter la famille vers un diagnostic – et laisser aux spécialistes le soin de réaliser un bilan pluridisciplinaire, avec des préconisations adaptées sur lesquelles s’appuyer.

Trouvez-vous que les enseignants sont bien formés à l’enseignement auprès d’un public dys ?

Les enseignants ne sont pas formés pour repérer les troubles. Ils sont mieux formés sur les adaptations, mais n’étant pas professionnels de ces troubles, ils peuvent proposer des adaptations qui ne conviennent pas, contre-productives.

Les stratégies de compensation et les adaptations qui existent face aux dys sont efficaces, mais si elles sont pertinentes. Comment juger de la pertinence sans une connaissance fine des troubles de l’élève ? Au lieu de tester des outils dont on a connaissance ici ou là, il serait opportun de se rapprocher de personnes compétentes dans le domaine des TSLA (troubles spécifiques du langage et des apprentissages).

Il faut revoir la formation – de même qu’un enseignant ne devrait pas être admissible sans quelques compétences dans le domaine du numérique, il ne devrait pas non plus l’être sans compétences dans les TSLA.

Les ESPE ont toute liberté dans leurs “modules handicap”, et il s’agit trop souvent d’un contenu généraliste qui n’apporte pas grand chose. Les formations devraient plutôt tourner autour des pathologies d’apprentissage : quelles sont-elles, comment on les repère, comment on y répond. Les enseignants seraient imprégnés de ces connaissances. Il y aurait une montée en compétences et non une simple sensibilisation aux difficultés.