
« Guide de survie à la réforme » du collectif « Où est le prof doc » / Dessin de Daz (@dazzdoc)
A l’origine du collectif “où est le prof doc”, Christophe Mousset et Elsie Russier, professeurs documentalistes, ont conçu un “Guide de survie à la réforme » du collège. Il est destiné à orienter les profs docs (avant la rentrée), face aux textes réglementaires et aux “lectures qui en sont faites” par les chefs d’établissement. Interview croisée.
Depuis que vous avez lancé votre collectif, y a-t-il eu des progrès en matière de reconnaissance des professeurs documentalistes ?
Elsie Russier : Nous avons lancé une pétition pour demander la reconnaissance de notre statut d’enseignant. Elle a recueilli plus de 4000 signatures, mais rien n’a changé – en dépit de quelques petits appels du pied de notre ministre, qui rappelle parfois dans les médias notre rôle important dans l’éducation aux médias et à l’information (EMI)… Les profs docs ne sont toujours pas considérés comme des enseignants à part entière. On n’arrête pas de nous dire que nous sommes essentiels, et que l’EMI, notamment face au complotisme, est primordiale. Mais cela se traduit par du vide : aucun texte ne nous permet d’enseigner cette discipline. Pire, la réforme du collège nous empêche d’enseigner comme nous le faisions avant, dans le cadre de l’AP (accompagnement personnalisé) ou avec les 6e.
Christophe Mousset : Si nous avions la possibilité d’avoir des heures d’enseignement dédiées, fléchées et spécifiques, ce serait parfait. Mais ce n’est pas le cas. Nombre de textes sont sortis qui parlent constamment des profs docs, notamment les programmes – mais à chaque fois, nous sommes mis sur la touche. Nous sommes tenus à l’écart de la réforme du collège.
Pourquoi avez-vous écrit ce guide ?
C.M : Il nous paraissait important de réagir vite par rapport à la réforme qui se met en place au collège à la rentrée, afin de donner la possibilité aux collègues d’enseigner dans de bonnes conditions – même si cela semble difficile.
Les textes de la réforme ne prennent pas du tout en compte le rôle pédagogique des profs docs – en particulier dans l’éducation aux médias et à l’information. Dans le référentiel EMI, le prof documentaliste est cité comme “maître d’oeuvre”, mais il n’a pas les moyens d’enseigner. Il ne sera plus possible pour lui d’enseigner seul en 6e. Pour proposer un cours d’EMI, il devra demander au prof de français ou d’histoire, de lui accorder une petite demi-heure sur son propre cours. Et certains IPR (inspecteurs pédagogiques régionaux) et recteurs disent que les profs docs ne peuvent plus enseigner que dans le cadre de l’AP et des EPI, en co-intervention.
Le manque de clarté des textes de la réforme fait qu’à la rentrée, chaque établissement va négocier, de son côté, la façon de fonctionner des profs docs. Il y a plusieurs façons d’interpréter, et les chefs d’établissement le font souvent à la baisse. Ce qui arrangera le plus un principal, c’est un prof doc qui ne fera pas trop cours, afin de pouvoir le charger de la surveillance des heures de permanence – car il n’a bien souvent pas assez de locaux pour accueillir 60 élèves en perm’. Nous comprenons ce problème, mais nous ne tenons pas une garderie !
D’après vous, les profs docs sont perdus…

« Guide de survie à la réforme » du collège du collectif « Où est le prof doc »
E.R : A cause du manque de clarté des textes de la réforme, beaucoup de collègues sont complètement perdus. Il y avait un vrai besoin d’aiguiller les profs docs. Ce guide est un support pratique, permettant de négocier auprès de son chef d’établissement, ou de ses collègues, pour pouvoir mettre en place un enseignement info-documentaire, dans le cadre de l’AP, d’un EPI, et plus globalement, dans le cadre de projets pédagogiques.
Ce que nous avons essayé de faire avec ce guide, c’est de repérer les failles de ces textes réglementaires, et de dire qu’il y a quand même une place pour les profs docs. En effet, les EPI sont prises sur les heures disciplinaires des enseignants, mais la documentation n’apparaissant pas comme une discipline à part entière, elle ne peut pas être une discipline support. Du coup, les profs docs en sont exclus. Notamment de l’EPI sur laquelle ils pourraient intervenir – Information, communication, citoyenneté.
Or nous avons essayé d’éplucher les textes, et de montrer qu’il était possible, légalement, de proposer l’info-doc en 6e, et plus globalement comme discipline support en AP et en EPI. Et que lorsque les chefs d’établissement, les recteurs ou les IPR disent qu’il n’y a pas de place pour les profs docs, c’est juste de la mauvaise volonté.
Il y a aussi, selon vous, un manque de clarté au niveau des obligations de service…
C.M : Depuis un an, nous avons la possibilité de décompter 1h d’enseignement en 2h. Nous pouvons ainsi fermer le CDI une heure avant pour pouvoir préparer le cours. Sauf que le texte n’est pas clair, et que dans certaines académies, il n’est plus possible de décompter les heures. Des recteurs publient ainsi des circulaires pour dire que les profs docs ne doivent pas décompter leurs heures d’enseignement, parce que ça ferme le CDI. Dans notre guide, nous déployons donc tout un arsenal de textes réglementaires, pour que chaque heure d’enseignement soit décomptée 2 heures, comme le stipule le décret n° 2014-940 du 20 août 2014.
Vous demandez un “vrai recrutement” des profs docs : pourquoi ?
E.R : Il y a un problème profond lié au recrutement : aujourd’hui, nous sommes généralement seuls en poste pour des établissements de 800 à 1000 élèves. Avec un seul prof doc pour tout un établissement, isolé, il est évident qu’il n’est pas possible d’enseigner auprès de toutes les classes. Nous demandons donc un vrai recrutement, avec une formation, un CAPES mis à jour, et ce que préconise l’APDEN (association des professeurs documentalistes de l’éducation) : un professeur documentaliste pour 400 élèves. A l’heure actuelle, ce n’est qu’un doux rêve.
Merci pour cet article et pour votre guide! On y croit (encore un peu…)!