
J. Ginestié
Vous êtes directeur de l’ESPE d’Aix-Marseille. Pouvez-vous nous présenter votre structure et ses principaux objectifs ?
L’ESPE, Ecole supérieure du professorat et de l’éducation, d’Aix-Marseille, a ouvert ses portes le 2 septembre 2013. Elle forme les futurs enseignants mais aussi les étudiants se destinant à d’autres métiers de l’éducation et ceux souhaitant développer des compétences dans le domaine de l’enseignement, de l’éducation et de la formation. L’offre de formation du master MEEF est organisée autour de quatre mentions : premier degré, second degré, encadrement éducatif et pratiques et ingénierie de la formation. Nous préparons notamment à toutes les formations technologiques et professionnelles dans les domaines des sciences et technologies industrielles, du génie civil et des enseignements généraux.
A la rentrée 2013, nous avions près de 2000 étudiants inscrits alors que cette année, en septembre 2015, nous en avons accueilli 3000.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur les formations dédiées aux PLP ?
Les professeurs de lycée professionnels (PLP) ont accès à une offre diversifiée de formation. Ils peuvent en effet suivre des formations dans les enseignements généraux (maths, histoire, science, lettres…) et dans les secteurs des technologies industrielles (génie mécanique, génie électrique et génie civil). Les PLP peuvent également bénéficier de formations dans le domaine de l’éco-gestion mais aussi dans le domaine des biotechnologies-santé.
Vos étudiants sont-ils satisfaits de la formation reçue ?
Globalement oui, nous avons des retours positifs. Toutefois, ceux qui arrivent à l’ESPE directement après avoir réussi le concours, sans avoir fait l’année de master 1, trouvent que la formation est trop chargée. Les PLP sont les plus concernés par cette situation, puisqu’ils arrivent souvent directement de la voie professionnelle.
Christian Lage, secrétaire général du Snetaa-Fo, a déclaré que « les ESPE pour la formation des PLP sont un échec total. » Quelle est votre réaction face à ces propos ?
Je pense que nous pouvons nuancer ce genre de propos. La loi de la refondation de l’école de la République est centrée sur l’école primaire et le collège. Nous constatons ainsi que le cœur de la réforme de la refondation de l’école, c’est l’enseignement obligatoire. De fait, nous nous intéressons moins aux lycées professionnels. Contrairement à la loi de l’orientation de 1989 de Jospin qui, elle, était concentrée sur les enseignements technologiques et professionnels. Il est ainsi normal, pour certains, de trouver que la formation des PLP est absente des ESPE. Toutefois, il faut souligner que la principale préoccupation vient de la masterisation. Lorsque le ministre Darcos a souhaité masteriser la formation des enseignants, cela a fonctionné pour les étudiants ayant fait des études universitaires. Sauf que pour l’enseignement professionnel, on constate qu’une large partie n’a pas fait de cursus universitaire. Je citerai donc différemment la phrase de M. Christian Lage, ce n’est pas un échec des ESPE, mais ça montre avec encore plus d’acuité l’échec de la réforme Darcos.

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Quelle est, selon vous, l’image de l’enseignement professionnel aujourd’hui en France ?
Aujourd’hui, en France, nous avons un système construit sur un modèle d’élite et sur un enseignement technologique et professionnel qui sert à faire sortir les élèves du cursus scolaire. Il faudrait mettre en place une organisation de formation qui permette à tous les élèves d’accéder au même niveau d’éducation, avec un arsenal de réussite égale tout en veillant à bien organiser leurs orientations professionnelles. Les élèves issus de l’enseignement professionnel ne doivent pas être désavantagés.

Professeur/élèves © Tyler Olson – Fotolia.com
Les professeurs de lycées professionnels rencontrent-ils des difficultés dans l’exercice de leur métier et dans leur recrutement ?
Oui, car au milieu de toute cette diversité de métiers qui composent l’enseignement professionnel en France, les PLP n’ont pas accès à un master spécialement dédié à la matière qu’ils vont enseigner. Comme il n’y a pas de formation universitaire pour apprendre ce métier, et que l’on n’est pas sûr que le professeur possède les compétences nécessaires pour enseigner, il y a eu cette idée de recruter des professionnels. Sauf que si l’on prend un professionnel, avec par exemple un bac et 7 ans d’expérience dans l’exercice de son métier, et qu’il réussit le concours d’enseignant, il faudra alors le former en un an à un niveau de master et à un métier qui est radicalement différent de celui qui vient d’exercer. Ainsi, ce problème est plus lié au processus de recrutement de l’Education nationale par voie de concours plutôt qu’au processus de formation. Il faut savoir que pour devenir enseignant, il faut obtenir un master, là nous permettons à des personnes ayant un bac et 7 ans d’expérience de passer le concours et de devenir enseignant. Il y a ainsi un réel paradoxe dans la manière dont l’Education nationale recrute ses professionnels de l’enseignement. On ne transforme pas un pilote de ligne en expert-comptable en seulement un an de formation ! Les difficultés principales que rencontrent les ESPE sont justement avec ces personnes qui réussissent le concours, celui-ci ne justifiant pas pour autant l’acquisition des compétences professionnelles.
En plus d’être directeur, vous êtes également Président du Réseau national des ESPE. Quelle est votre vision sur l’ensemble des formations proposées aux professeurs et comment les encourager à exercer ce métier ?
Nous n’avons pas besoin de les encourager, les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’évolution des effectifs montre que d’un point de vue quantitatif, les ESPE sont un véritable succès. Le métier d’enseignant est redevenu attractif. Dans plusieurs discussions préalables à la mise en place des ESPE, de nombreux collègues des composantes des universités pensaient même que la mise en place du master MEEF allait vider le master Recherche. Mais on s’est aperçu que ce n’était pas le cas. Chacun des deux masters a sa place dans l’enseignement supérieur.
Toutes les ESPE ont été créées en septembre 2013, nous n’avons pas assez de recul pour savoir ce qu’elles modifient ou apportent réellement. Il faut être patient. L’année 2015-2016 n’est que la première année où les étudiants, qui ont fait leur cursus dans une ESPE, sont véritablement en poste. Toutefois, je pense que c’est une vraie réussite, les premiers indicateurs sont positifs. Pour ceux qui connaissent le monde universitaire et le monde scolaire, arriver en si peu de temps à faire des constructions qui soient fonctionnelles, à mettre en place des formations de niveau master et à pratiquement doubler ses effectifs en 2 ans, cela relève de l’exploit !
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