Démission, mise à disposition, mise en disponibilité… bien difficile de savoir combien d’enseignants choisissent de fermer définitivement la porte de la classe derrière eux. Le ministère n’est pas très loquace à ce sujet !
Un site, aideauxprofs.org a même été créé par un ancien enseignant pour aider les collègues qui se posent des questions sur leur éventuelle reconversion.
Les associations estiment toutefois que le nombre de démissions annuel a plus que doublé depuis les années 2000 pour atteindre environ 1000 cas chaque année. Quant aux demandes de « mises en disponibilité pour convenance personnelle » (celles qui permettent de créer une entreprise ou d’aller travailler dans le privé), elles sont estimées à plus de 5500 par an.
Si ces cas restent — heureusement — très minoritaires, la question n’est plus taboue et rares sont les couloirs des établissements qui ne bruissent d’aucune conversation sur le sujet.
Partir : des raisons personnelles
Mais pourquoi partir ? Les raisons ont évidemment toutes de fortes dimensions personnelles. Mais la lassitude, des hiérarchies trop contraignantes ou encore la difficulté à faire cours sereinement font partie des arguments récurrents et partagés par celles et ceux qui ont mis fin à leurs engagements.
Une fois la décision de reconversion prise, reste à trouver sa nouvelle voie. « Beaucoup d’enseignants ne se sentent pas capables ou ne s’imaginent pas pouvoir faire autre chose, sourit Isabelle Richard. Professeure d’économie et gestion pendant 20 ans en lycées professionnels et techniques des Côtes-d’Armor, Isabelle Richard est aujourd’hui dirigeante d’une entreprise de mécano-soudure. D’une part, parce que nous méconnaissons nos compétences et d’autre part, mais aussi parce que nous ne sommes pas pris très au sérieux par nos interlocuteurs : fournisseurs, banquiers, institutions… C’est vrai que nous avons des lacunes, mais elles se comblent ! »
« Quoi faire ? » : voilà une question que Romain Garcia, 34 ans, professeur d’histoire géographie pendant 5 ans en collèges et lycées de la région parisienne, ne s’est pas posé très longtemps. « Lorsque j’enseignais, ce qui me plaisait le plus c’était les sorties et les voyages organisés pour les élèves. Parler de la culture, de l’art, du passé d’une ville au cœur même de celle-ci, voilà où j’étais dans mon élément ! » C’est donc logiquement qu’il a embrassé la carrière de guide touristique (trilingue !) à Paris.
Si sa carrière de professeur lui a laissé de bons souvenirs, ce fils d’enseignante reconnaît qu’il ne s’est sans doute pas posé suffisamment de questions avant d’intégrer l’Éducation Nationale. « J’y suis arrivé presque par automatisme, sans prendre totalement la mesure qu’avoir le goût pour l’Histoire et l’enseigner n’était pas exactement la même chose. »
D’autres libertés, d’autres responsabilités
Isabelle Richard, quant à elle, raconte être arrivée dans l’enseignement « un peu par hasard ». Mais souligne qu’elle a toujours eu beaucoup de plaisir à transmettre ses connaissances et « un fort sentiment d’utilité ». Elle explique son départ par le « besoin d’être davantage dans le concret ». « J’avais 45 ans, lorsqu’un proche m’a proposé de rejoindre comme salariée en charge de l’administratif l’entreprise que je dirige maintenant. Je me suis dit qu’à mon âge, une telle opportunité ne se reproduirait plus ». Mais un an après sa démission de l’Éducation Nationale, l’entreprise est mise en redressement judiciaire. « J’ai décidé de la sauver avec 7 associés qui ont accepté d’entrer au capital ». Challenge compliqué !
Isabelle Richard reconnaît avoir plusieurs fois « mordu la poussière » et ne considère pas sa vie de chef d’entreprise comme plus facile que celle d’enseignante. « Je travaille autant. La grande différence c’est que désormais mon patrimoine est en jeu et mes choix pèsent sur l’avenir de 20 salariés… ce qui est terriblement stressant. Mais je ne regrette rien de cette aventure ! Quand la flamme n’est plus là, il faut oser faire autre chose. » Elle garde cependant l’école dans son cœur et continue même de lire régulièrement la presse professionnelle sur l’éducation. « Ce qui me manque le plus, c’est le contact avec les élèves. Et puis, rien ne remplace le silence d’une classe que l’on a réussi à captiver. »
Même si Romain Garcia a dû prendre un « job » de veilleur de nuit pour financer sa formation de guide, lui non plus ne regrette pas son choix. Il a vécu son départ l’Éducation Nationale comme « un soulagement et un sentiment de liberté ». « Bien sûr, aujourd’hui, mon salaire n’est plus assuré et j’ai d’autres contraintes. Mais mon nouveau métier est plus facile et plus gratifiant car je perçois immédiatement le fruit de mes efforts. » Lui aussi conserve pour le métier d’enseigner une grande admiration et d’ailleurs n’exclut pas totalement de revenir, un jour, faire face aux élèves.
Quand le système étouffe
Assez logiquement, les professeurs choisissent majoritairement des métiers proches de leur univers d’enseignement, mais ce n’est pas l’histoire de Myriam Fouasse-Robert. Après 10 années à dispenser des cours d’anglais, elle a choisi de rejoindre l’entreprise viticole de son époux pour y organiser des séances d’initiation à l’œnologie au cœur du vignoble de Vouvray.
« Enseigner était pour moi une vraie vocation. Dès mes années de collèges, je savais que je deviendrais professeur. J’aurais aimé enseigner le français à l’étranger, mais après avoir rencontré mon mari, déjà vigneron, impossible de partir à l’étranger ; je me suis réorienté vers l’anglais. » Collèges, lycées, universités, Myriam Fouasse-Robert a eu l’occasion de tester ses compétences de professeur auprès de différents élèves. Trop peut-être. « Mes demandes de mutation sur des postes fixes n’ont jamais abouti. Je suis restée TZR (titulaires sur zone de remplacement), certes avec des remplacements à l’année, mais cela m’a épuisée. Chaque année j’y laissais un peu plus d’énergie et j’ai fait un début de burn-out. J’en étais arrivé au point de me demander pourquoi je me levais le matin… »
C’est d’ailleurs lorsque sa santé a commencé à être sérieusement menacée que Myriam Fouasse-Robert a choisi de mettre un terme à sa carrière d’enseignante. Un départ qu’elle n’analyse pas comme un échec, mais comme la nécessité de prendre « un nouveau départ et de se confronter à un autre milieu ». « Je gagne moins qu’autrefois, je travaille aussi beaucoup et j’ai d’autres sources d’inquiétude. Mais le bilan est totalement positif. À part les échanges que j’avais avec mes collègues, rien ne manque de ma vie d’avant ».
Bonjour, merci pour votre article qui ose lever le voile sur un aspect du métier d’enseignant que l’Education Nationale se garde bien de mettre en avant… A juste titre d’ailleurs, puisque cette vénérable institution se révèle incapable de gérer ses ressources humaines en permettant formation, accompagnement, et conseil à la mobilité professionnelle. Moi-même enseignante pendant 25 ans, j’ai démissionné l’an dernier afin de créer mon activité et à aucun moment je n’ai regretté mon choix… Ce qui est frappant, c’est de constater que tous ceux qui font ce choix avaient une véritable vocation au départ pour ce métier… Mais le « mammouth » les a usés et achevés…
Alors merci de montrer à tous ceux qui n’osent pas encore rêver à un changement de métier, que tout est possible… 🙂
Pourquoi les chiffres sur la démission des enseignants sont-ils secrets ? J’ai l’impression – sans doute subjective – que les démissions ont plus que doublé. Je ne rencontre autour de moi que des gens qui ont quitté l’Education nationale ou qui cherchent à la quitter.
Les nouveaux rythmes scolaires absurdes et épuisants, la déconsidération du métier, la réforme du collège qui brade l’enseignement, l’autoritarisme de plus en plus poussé de la hiérarchie, les ravages de l’évaluation par compétences, les injonctions contradictoires permanentes… les enseignants sont soumis à tant de stress que j’admire ceux qui restent dans le métier !
Et pourtant, j’ai aimé faire la classe pendant 18 ans… mais je suis ravie d’être partie !