François Martin

François Martin

Vous êtes président de la CNARELA (Coordination Nationale des Associations Régionales des Enseignants de Langues Anciennes). En quoi consiste votre association et quels sont vos principaux objectifs ?

La CNARELA est une coordination nationale qui regroupe, depuis plus de trente ans, les associations régionales des enseignants de langues anciennes (ARELA). Notre objectif premier est de promouvoir et de favoriser l’enseignement du latin et du grec dans les établissements secondaires et supérieurs, non seulement comme spécialité, mais surtout comme élément d’une formation et d’une culture générale.

Le latin et le grec au collège vont être remplacés par un enseignement interdisciplinaire dès la rentrée 2016. Quelle a été votre réaction face à ce changement ?

C’est scandaleux ! Nous détruisons complètement les disciplines qui existaient. Il n’y a toujours pas d’horaire clairement dédié à cet enseignement malgré les multiples demandes de la CNARELA. On nous fait croire qu’avec l’EPI, tout le monde pourra étudier le latin ou le grec : c’est faux. Dans les textes, rien n’oblige un collège à ouvrir un EPI Langues et Cultures de l’Antiquité. À côté, un enseignement de complément a été mis en place après une mobilisation importante des professeurs de lettres classiques, mais cette division de la discipline la fragilise encore plus.

Justement, le ministère de l’Education nationale a récemment publié dans le Bulletin officiel les programmes de l’enseignement de complément Langues et Cultures de l’Antiquité. Qu’en pensez-vous ?

Nos enseignements ont été réduits et attaqués. La diminution horaire est phénoménale ! Les programmes sont plus ou moins restés les mêmes qu’en 2009 sauf que cette fois-ci, ils ont été sabrés. De 2 heures d’enseignement en 5ème, nous passons à 1 h et de 3 h en 4ème et 3ème, nous n’en avons que 2 ! Il y a une réelle perte.

Par ailleurs, l’EPI doit obligatoirement être pris sur les horaires d’autres disciplines (français, histoire-géographie, mathématiques, etc.), sans que les liens soient toujours bien identifiables ou en allant parfois chercher des thèmes un peu créés « pour l’occasion »… Les professeurs de lettres classiques travaillaient déjà avec leurs collègues d’autres disciplines. La différence est qu’ils le faisaient dans le cadre précis d’un projet interdisciplinaire réfléchi, conçu par eux, non imposé par le ministère et surtout sans prendre les heures ailleurs et sans amputer de façon dramatique les horaires de langue ancienne. De tels dispositifs où deux professeurs pouvaient intervenir étaient financés par des marges horaires plus ou moins importantes.

Les horaires avec la réforme sont déjà limités dans toutes les disciplines. Peu nombreux sont les collègues qui accepteront de donner une heure plus spécifique au latin ou au grec. La mise en place s’avère donc extrêmement difficile. Les textes prévoient même que l’EPI LCA puisse être proposé par un professeur qui n’a pas été formé en français-latin-grec !

Latin inscription in Rome

Latin inscription in Rome BlackMac/fotolia.com

Dans un récent communiqué de presse à ce sujet, vous écrivez que « le ministère a agi une fois de plus avec un mépris total des professeurs de lettres classiques ». Pouvez-vous nous en dire davantage ?

A l’occasion d’une audience à la Dgesco, la CNARELA a demandé expressément, à plusieurs reprises, que tous les collègues de lettres classiques puissent être consultés et donner leur avis sur les nouveaux programmes de l’enseignement de complément « Langues et cultures de l’Antiquité ». Or, l’ensemble des collègues n’a pas été consulté ! C’est un véritable refus de dialogue de la part de la Dgesco. Au début de la réforme, le ministère avait fait un trait sur l’apprentissage du latin et du grec. Il a fallu se battre pour obtenir un enseignement de complément. Il ne tient pas compte des 500.000 élèves qui pratiquent le latin et le grec !

élève collège

© Monkey Business – Fotolia

Vous écrivez aussi que « l’apprentissage de ces langues était d’un grand profit pour les élèves les moins favorisés ». En plus de cet exemple, pourquoi faudrait-il conserver l’enseignement des langues anciennes en France ?

En effet, une étude très intéressante de la Depp vient justifier mes propos. Elle met en lumière les bénéfices de l’étude du latin, et montre que les effets positifs de l’apprentissage de cette langue ancienne sont d’autant plus marqués pour les élèves que leur origine sociale est défavorisée. Le latin corrige les inégalités scolaires et culturelles. Par exemple, le succès aux examens (brevet des collèges et baccalauréat) des élèves latinistes de milieu défavorisé est supérieur de 21,5 points au brevet, 23 points au baccalauréat, à celui de leurs camarades de même milieu non latinistes, et il n’est supérieur que de 5,5 points au brevet et 18 points au bac dans les milieux favorisés. L’étude révèle aussi que le latin participe à la mixité sociale : les enfants de milieu favorisé fréquentent le collège d’éducation prioritaire de leur secteur quand il offre le latin.

Ainsi, il faudrait non seulement conserver cet enseignement mais aussi l’ouvrir à tous dans des conditions qui ne réduisent pas les horaires à une poignée d’heures sur l’année !

Est-il trop tard pour sauver les langues anciennes ?

Non, il n’est jamais trop tard pour les sauver. Contrairement aux autres disciplines, l’apprentissage des langues anciennes est un combat permanent. Il faut toujours que nous nous justifions, que nous prouvions que nous sommes utiles et que nous rappelions l’importance de cette matière. On se rend compte uniquement quand l’option a disparu qu’elle était essentielle aux élèves et à l’établissement.