Gilles-VernetEt si l’on ralentissait pour donner un nouveau sens à nos vies ?

C’est la question que se pose Gilles Vernet, ex-trader devenu enseignant, qui s’interroge avec ses élèves de CM2 sur l’accélération vertigineuse de notre monde. Impressionné par leurs réflexions sur notre mode de vie et notre rapport au temps, il décide de les filmer, puis de rencontrer des experts du sujet. De ce projet naît un film : « Tout s’accélère« , qui sort en salles le 20 avril.

Rencontre avec ce maître d’école atypique, pour qui l’enseignement a redonné un sens à sa vie.

Pouvez-vous présenter votre parcours ?

J’ai débuté mes études au lycée Louis Le Grand, où il y avait un fort esprit de compétition, qui s’est poursuivi après le bac à l’EDHEC de Lille. Ensuite je suis parti faire un MBA à Madrid, puis première rupture, lors de mon service militaire à la Martinique. Le Parisien que je suis a eu un choc face à la nature, luxuriante sur cette île. J’y ai pris goût. À mon retour, j’ai travaillé dans la finance auprès des PME. Ce monde austère m’a valu une déprime et une thérapie. Ensuite, je suis passé sur les marchés financiers où j’ai travaillé en pleine bulle internet, où l’argent coulait à flots.

Quel a été l’élément déclencheur qui vous a fait quitter ce métier ?

Au milieu de tout cela, j’ai commencé à avoir une conscience écologique assez forte, liée au fait que je réalisais l’ampleur de la prédation sur les ressources et la pollution atmosphérique. Je me suis rendu compte que je travaillais dans le cœur du réacteur, qui demande à tout le monde d’aller plus vite, y compris à la planète.

J’avais envie de partir, et quand j’ai appris que ma mère était atteinte d’une maladie incurable, j’ai eu un déclic : j’ai tout plaqué pour pouvoir voir ma mère. Beaucoup d’amis sont dans mon cas et n’arrivent pas à quitter la finance car ils n’ont pas eu ce déclic.

Comment en êtes-vous arrivé à devenir enseignant ?

J’ai d’abord essayé de me reconvertir en faisant du coaching, des scénarios pour la télévision, un documentaire. Puis j’ai passé le concours d’instit’, car j’avais des anciens collègues de banque qui avaient choisi cette voie et qui m’avaient démontré que c’était un beau métier. Dès que j’ai été au contact des enfants, cela a été une révélation, mais qui n’était pas du tout prévue ! Ma vocation pour ce métier n’est venue qu’ensuite. Je dirais surtout que c’est un accomplissement, d’avoir un métier qui donne autant de joie à ma vie. C’est un métier qui comme les autres est parfois très dur, mais qui donne de grandes gratifications humaines.

L'affiche de "Tout s'accélère", coup de coeur de la Fondation Nicolas Hulot

L’affiche de « Tout s’accélère« , coup de coeur de la Fondation Nicolas Hulot

En quoi votre méthode d’enseignement est-elle différente ?

Ma méthode ne diffère pas puisque je me tiens au programme, mais un prof est seul maître à bord dans sa classe et peut se réapproprier les programmes. On n’enseigne jamais mieux que ce qu’on aime, nous transmettons mieux les domaines où nous sommes à l’aise. J’avais un haut niveau en maths, et les enfants s’imprègnent de ça.

Là où je me distingue un peu, c’est que je consacre une grande part à la philosophie. Chaque semaine je donne des citations aux élèves qui suscitent un débat philosophique, avec des recours aux grands auteurs et à des textes simples. Tout cela nourrit un questionnement que les enfants adorent, et c’est pratiquement là que je peux leur être le plus utile : ça leur permet de construire leur jugement.

Vos élèves sont-ils réceptifs à ces débats philosophiques ?

Ils sont TRES réceptifs, c’est ce qu’ils préfèrent ! C’est un de nos moments institués, avec une autre chose qu’ils apprécient : la méditation. Chaque journée de classe commence par 2 minutes de méditation, où les élèves se tiennent droits, silencieux et respirent ventralement. Ils sont beaucoup plus apaisés ensuite ! Nous faisons un débat philosophique par semaine, et nous chantons également une chanson par semaine.

Pensez-vous que notre mode de vie finira par s’apaiser ?

À mon avis, nous n’avons pas le choix. Le film part de ce constat, que rien ne résiste à l’exponentiel. Quand il faut que tout croisse, les chiffres d’affaires, la consommation, la productivité, on se rend compte que l’exponentiel arrive très vite à ses limites. Actuellement, nous atteignons des limites à la fois environnementales et humaines. Je pense que nous allons naturellement être amenés à ralentir. Au niveau humain, on commence de plus en plus à observer ce ralentissement. Mais au niveau collectif, la question subsiste !