Celia Guerrieri est professeure de lettres en lycée dans l’académie de Nice. Elle-même dyscalculique, elle a conçu 2 “guides de survie” : un pour l’élève dys au lycée, un pour l’enseignant confronté à un élève dys.
Pourquoi les élèves ont-ils besoin d’un “guide de survie” ? L’école est inadaptée ?
Hélas, c’est à nous, dys, de nous adapter au monde. C’est la règle du jeu. D’un autre côté, la loi de 2005 sur la scolarisation des élèves handicapés a permis d’immenses avancées. Nombre d’établissements sont adaptés à l’accueil de ces élèves. Mais beaucoup ne le sont pas encore.
Pour les dys, l’école est un parcours du combattant. Cela dépend du trouble et de la pratique de l’enseignant, mais dans l’ensemble, c’est très difficile. Beaucoup d’adultes dys sont sortis traumatisés du système scolaire.
Je suis moi-même dyscalculique. J’ai été diagnostiquée à seulement 25 ans, car ce trouble a longtemps été méconnu. J’étais une fille, très bonne en français et très mauvaise en math… C’était “normal”, personne ne s’est posé la question. Je vous parle des années 80-90… C’était la préhistoire. Le diagnostic a été un vrai soulagement.
Comment en êtes-vous venue à écrire ces guides ?
A l’origine, j’ai écris un “guide de survie pour les élèves dys au lycée” (pdf). Ils sont nombreux, mais ils ne connaissent pas les techniques pour faciliter leur scolarité et être le plus autonomes possible.
Puis je me suis rendu compte que le sujet intéressait aussi mes collègues. On dit souvent que les enseignants ne s’occupent pas des dys, mais c’est faux. Ils sont nombreux à vouloir les aider, mais ils ne savent pas comment faire. Beaucoup sont perplexes, parfois perdus. J’ai donc conçu un “guide de survie pour le professeur confronté à des élèves dys” (pdf). J’avais envie de transmettre mon expérience, en tant que dys, et en tant qu’enseignante.
Comme j’ai choisi de rendre mes publications ouvertes et de les diffuser sur Internet, ils sont régulièrement mis à jour. Au départ, je m’adressais surtout aux dyslexiques et aux dyscalculiques, car je me concentrais sur ce que je connaissais le mieux. Puis je me suis rendu compte qu’il y avait aussi de plus en plus d’élèves dyspraxiques de diagnostiqués. J’ai donc étendu mes guides à tous les dys. Je prévois d’écrire un 3e guide, pour les parents, pour qui la situation est aussi très difficile à vivre.
Avez-vous mis en pratique ce que vous conseillez dans vos guides ?
Au cours de ma scolarité, surtout à partir du lycée, j’ai créé mes propres “trucs”, des stratégies me permettant de contourner les obstacles. Ces “trucs”, d’autres dys les ont aussi trouvés de leur côté, ou ils leur ont été conseillés par leurs orthophonistes. Plus tard, en tant qu’enseignante, j’ai mis en pratique ces solutions avec mes propres élèves dys. Dans mon guide, vous trouvez des “trucs” qui coûtent 60 centimes d’euros, par exemple une règle colorée en plastique, et d’autres qui valent 100 euros, par exemple l’utilisation du logiciel de reconnaissance vocale Dragon. Tout est variable, cela dépend du trouble et des possibilités financières.
Qu’en est-il de la différenciation ?
L’idéal, pour les dys, c’est la pédagogie différenciée (pdf), car elle favorise leur réussite. Dans ma classe, je fais la même chose avec les dys qu’avec les autres élèves. Le but de tout mon enseignement est de différencier et de dispenser un cours accessible à la fois aux élèves dys et aux élèves non-dys. Nous travaillons en îlots, et j’évalue par compétences, ce qui permet une adaptation pour les dys : je n’évalue ni leur orthographe ni leur usage de la ponctuation. J’évalue la qualité du raisonnement et les savoir-faire utilisés pendant les exercices. Mais mes élèves dys savent que le jour du Bac, l’orthographe et la ponctuation compteront, sauf s’ils bénéficient d’un aménagement lors de l’examen, avec un ordinateur et un correcteur orthographique.
Trouvez-vous que les enseignants sont bien formés à l’enseignement auprès d’un public dys ?
C’est extrêmement variable d’une académie à l’autre, d’un établissement à l’autre, d’une histoire personnelle d’enseignant à l’autre. Il existe des formations académiques, mais pas partout. Le réseau Canopé organise des ateliers, mais pas partout non plus. Ce qui est certain, c’est qu’un enseignant sorti de l’ESPE se sent souvent démuni. En outre, est-ce qu’une demi-journée de formation suffit vraiment pour comprendre des troubles aussi complexes ? Mon guide peut prolonger ce que l’enseignant a vu en formation. Il apporte aussi des détails plus “pratiques”.
A quelles difficultés est confronté un enseignant, face à un élève dys ?
Les enseignants sont en demande de solutions. Les élèves dys sont perturbants. Face à un élève dys, le prof se sent souvent impuissant. Il essaie de lui apprendre des choses, utilise toutes les techniques qu’il connaît, lui explique des choses 3 ou 4 fois, mais souvent, au bout du compte, l’élève n’a toujours pas compris. Pour le prof, c’est difficile à vivre, très frustrant. Il peut vivre ce genre de situation comme un échec personnel. Il lui faudra faire preuve de beaucoup de patience, d’humour aussi, pour changer les choses.
Dans vos guides, vous apportez une grande place aux TICE…
Les TICE sont une révolution pour les dys. Sans ordinateur, je n’aurais pas pu faire d’études supérieures. Cet outil n’est pas adapté à tous les dys, mais il facilite considérablement l’écriture, surtout pour les dyslexiques et les dyspraxiques.
Je le vois cette année encore avec une élève dyslexique et dysorthographique, qui vient en cours avec un ordinateur depuis ses 10 ans, et qui est la meilleure de la classe en français ! Elle fait des fautes d’orthographe, mais utilise un correcteur orthographique. Elle a une immense finesse d’analyse des textes, et progresse sans cesse dans sa capacité à organiser son raisonnement.
Les dys ont une façon de raisonner différente de la nôtre, “éclatée”. Imaginons qu’un élève dys ait une dissertation à faire. Grâce au traitement de texte, il peut créer des blocs de texte, les surligner, les déplacer et réarranger le contenu de son travail… ce qui serait très difficile s’il écrivait à la main.
Merci pour cet article très utile et pour les deux Guides téléchargeables.
Je signale que depuis quelques années les logiciels courants de traitement de texte (Libre Office, Word, Pages) ont intégré les fonctions de dictée vocale et de synthèse vocale. Il n’est donc plus nécessaire d’acheter un logiciel comme Dragon.
La fonction de dictée vocale est également intégrée aux smartphones pour envoyer des SMS, au moteur de recherche Google, à Google traduction.
Magnifique ! Très bonne initiative et merci pour ce guide !
Dys=dyslexique?non parce que j en connais qui ont trouve!en leur faisant croire que surdoues!
Merci beaucoup pour ce guide. quel boulot !!
Je suis prof d anglais en collège et surtout maman d un CM2 dyslexique dysorthographique et dysgraphique.
Avec mon fils ce qui est surtout difficile au quotidien, ce sont les doutes : est ce que je fais bien ou pas ? Est ce que je prends les bonnes décisions ?
Et aussi réussir à maintenir sa motivation, ne pas tomber dans la saturation… ce guide est donc bien utile
Dans mon métier, ce sont les remarques du style « il ne fera jamais rien de bien en anglais » qui m énervent. Et aussi un autre souci : dans mon collège on adapte beaucoup pour les dys (ton guide va surement me donner d autres idees d adaptation, valables aussi pour le clg), et du coup certains se retrouvent avec de super bulletins…. et n ont plus le droit à rien car on estime que ce sont des élèves » normaux » sans pb. Il faudrait presque les laisser se planter pour prouver qu’ ils sont en difficulté! !
Il y a encore beaucoup de chemin à faire !!
Bonne continuation
nath
S’appuyer sur des profs ou parents ou les deux, j’en connais, d’enfants dys pour contribuer à créer des solutions me semble une très bonne idée.
Bravo ( on est tous un peu de dys de quelque chose ou de quelqu’un) .
Beaucoup d’instits ont plus facile de dire que l’enfant est fénéant; n’étudie pas;…..J’ai pour ma part fait confiance aux institutrices que mon enfant avait eu pdt ses maternelles et primaires et çà été une très grande ERREUR. Mon enfant à terminer ses primaires et lorsqu’il à entamé les secondaires après seulement 2mois ses profs ont vus(par son écriture; sa façon de se tenir;…)que qq chose n’allait pas(un enfant n’est pas le même chez lui et à l’école) et après des tests il a été diagnostiqué dyspraxique à 13ans! Quand un enfant à un soucis d’apprentissage les enseignants devraient redoubler de vigilance et pas se dire: oh celui-là…….Je sais qu’il y a des enseignants attentifs; mais l’incompétences des autres font qu’on oublie les bons