Vos débuts…
J’avais fait le choix d’enseigner à des instituteurs à l’Ecole normale. Cela faisait partie des voies royales pour faire sa thèse à côté des 15 heures de cours hebdomadaires. Mais je préparais mes cours au lieu de faire ma thèse. Je pensais faire des très bons cours d’agrégés et puis je me suis rendu compte qu’il fallait s’adapter aux besoins des instits. J’étais nullissime ! Je sortais de l’agrégation et je faisais à mes étudiants des leçons de l’agreg’, un truc incompréhensible, qui suscitait un mélange d’admiration et d’effroi de la part de mes élèves. C’est ce qu’on m’avait appris. M’adapter à mon public m’a demandé beaucoup de temps. J’étais très mauvais à l’oral à l’époque, très bloqué, très inhibé. Faire cours sans lire ses notes, regarder le public à qui l’on parle, et tout le B.A.-BA de la pédagogie, je l’ai appris par l’expérience.
Votre cote auprès des étudiants aujourd’hui…
Ce qui revient le plus souvent chez mes étudiants (Patrick Ghrenassia est aujourd’hui professeur formateur à l’ESPE de Paris rattaché à La Sorbonne) ce sont des remarques comme : « c’est marrant vous n’êtes pas comme les autres », « vous avez un regard critique sur les choses », « on peut parler de tout ». Je me donne effectivement une liberté de parole que j’estime légitime à l’université et avec un public enseignant dont on attend qu’il ait l’esprit critique. Il n’y a aucune obligation de présence en cours magistral à l’université et je remplis généralement l’amphi.
Votre truc pour captiver 200 étudiants…
Même devant un amphi plein, je ne monologue pas. Je pratique le cours dialogué. Je questionne régulièrement l’assemblée et le dialogue s’engage avec la salle. Cela m’est venu de ma pratique. Je trouve ça effrayant de parler seul pendant deux ou trois heures devant des adultes comme de rester assis trois heures à écouter quelqu’un. C’est plus vivant pour tout le monde.
Vos modèles de bons enseignants…
J’ai pu voir des professeurs admirables, mais j’ai appris davantage de mon questionnement personnel. Enseigner demande de s’adapter à sa personnalité, donc, pour trouver sa voie, il vaut mieux s’observer, s’enregistrer, que d’essayer de plaquer un modèle. Je connais un professeur de psychologie qui utilise beaucoup les vidéos. Il captive apparemment son amphi, mais je serai incapable de faire comme lui, car je ne me sentirais pas à l’aise. D’autres font rire leur public avec un ton décalé. Cela correspond à un type de personnalité, qui n’est pas le mien non plus. Il faut appliquer le « connaîs toi toi-même » (de Socrate, NDR), à la pédagogie.
Votre regard sur la formation des enseignants…
Au colloque sur le bilan de la formation des enseignants en juin 2015, mon intervention s’appelait « formation des enseignants : les illusions perdues ». Dans ce domaine, c’est toujours la question du rapport entre théorie et pratique dans la formation qui revient et n’est pas résolue. Déjà à l’époque des Ecoles normales, on disait que la formation était trop théorique. Aujourd’hui, on ne fera croire à personne qu’on fait de la formation professionnelle à 200 dans un amphi. On fait de la formation de masse pour préparer au concours. Et même si on a augmenté la part des stages dans la formation, la formation théorique déconnectée du terrain domine. Celle sur la laïcité par exemple, ne répond pas aux besoins pratiques…
Votre avis sur cette formation à la laïcité…
Ce qui a changé c’est le contexte, avec les attentats. Mais en Espé, il s’agit toujours de cours théoriques qui visent à préparer les étudiants aux concours, pas à faire cours ou à répondre à des situations concrètes dans les établissements. La formation est insuffisante et superficielle. Elle est uniforme, standard et ne correspond pas aux situations de terrain. Les problématiques ne sont pas les mêmes selon l’endroit où l’on se trouve. Il faut faire de la formation professionnelle différenciée. On n’arrête pas de dire qu’il faut différencier pour s’adapter aux besoins des élèves. Il faut s’adapter aux besoins des profs ! La laïcité, cela ne relève pas du module de trois heures, mais de la vie de classe. Les enseignants qui ont le mieux su réagir après les attentats sont ceux qui avaient une pratique de classe démocratique et travaillaient déjà sur le sens critique.
Votre vision des principaux défauts des enseignants débutants…
La gestion de classe est le point sensible. Certains sont en tête au concours et c’est la catastrophe dans leur classe. Comment réagir, poser sa voix, organiser la classe, gérer un enfant qui pète un câble : aucun concours ne permet de recruter là-dessus. Il faudrait soit changer le concours soit développer ce que j’ai expérimenté dans l’Oise ou à Paris, dans le cadre de la formation des enseignants : les ateliers de pratiques professionnelles (APP). Une dizaine d’étudiants teste des séquences de cours en classe, avec l’aide du professeur de la classe et un ou deux formateurs d’Espé, qui donnent des éclairages théoriques ou pédagogiques. C’est coûteux, en temps et en encadrement, mais c’est le seul dispositif qui donne satisfaction à tout le monde. A la fin d’un APP de 15 heures, je sais qui sera un bon prof ou pas.
Votre conception du bon prof…
D’abord, la passion, pour l’enseignement ou pour la matière. Si on a une passion, on la transmet. Ensuite, la capacité à s’adapter à l’auditoire. Il faut avoir un flair animal de l’auditoire, être à l’affût du regard fuyant, capable de réagir, d’arrêter un cours, de revenir sur un point. Si on n’a pas ça, on fait des Moocs ! Et puis, les bons profs sont des gens bosseurs, qui ont envie de faire ce métier et ont du punch. C’est un métier à risque. Le grand malentendu vient de là. Socialement, c’est un métier de ‘fonctionnaire’, or le cœur du métier c’est le risque. On a beau préparer des heures et des heures, rien ne se passe jamais comme prévu.
Super interview! Enfin un formateur de formateur qui ose dire tout haut ce que tous les profs-stagiaires pensent! Je refais la formation Espé après 25 ans (formation suivie dans un pays nord-européen qui se passait comme les APP!), car ma formation étrangère n’a jamais été reconnue!
Et je suis d’accord à 250% sur tout!
Je suis professeure d’allemand retraitée et j’ai été passionnée par le métier et la discipline. J’ai eu pas mal de stagiaires et je crois avoir fait du bon travail.
Je trouve cet article très intéressant et je partage les convictions qui y sont exprimées. Comme m’a dit un parent un jour : « Merci d’enseigner avec ce que vous êtes! ». un beau compliment. A tous ceux qui dénigrent les profs, je dis toujours: « Allez passer une journée (une heure?) dans une classe et on rediscutera après!! » Merci.
Il est nécessaire aussi de considérer que le risque du métier c’est le coeur.
Merci Monsieur Ghrenassia pour votre très intéressant article que j’ai lu et relu attentivement.
Je suis Belge et habite Bruxelles.
Brièvement: un petit aperçu de ma situation par rapport au métier de prof: Après une vie professionnelle d’une quinzaine d’année passée dans le domaine des bureaux, j’ai passé mon DAP (= diplôme d’aptitude pédagogique) à l’âge de 36 ans et me suis donc lancée comme prof.
J’ai eu beaucoup de satisfaction à enseigner à des jeunes et moins jeunes primo-arrivants à Bruxelles (le français FLE et le néerlandais basique (LE) mais nettement moins dans les écoles secondaires en tant que prof de néerlandais.
Ma préoccupation constante en tant que prof a toujours été de faire aimer la matière que j’enseignais.
A noter en passant que j’ai subi plusieurs « burn-outs » dûs au fait que je prenais mes missions tellement à coeur que je négligeais de prendre du temps pour moi afin de récupérer.
A noter aussi c’est qu’en Belgique, il y a tous les ans du changement dans le domaine de l’enseignement, guère de stabilité sur beaucoup de plans (c’est le « dada » des ministères qui ont en charge l’enseignement que de vouloir tout le temps changer quelque chose quelque part, ce qui mène à des situations invraisemblables et même parfois absurdes ! Il y a eu par exemple il y a quelques années « le décret mixité », et tout récemment: depuis sept 2016: un décret sur titres requis et titres jugés suffisants pour recruter les profs », des débats autour des cours de religion et l’introduction d’un cours de citoyenneté (d’une durée d’1 heure par semaine par classe !!), et enfin le fameux » Pacte d’Excellence » (= énorme blabla de 249 pages)
J’aimerais retrouver une poste de prof, j’ai actuellement beaucoup de difficultés à retrouver un tel poste, cela étant dû partiellement à mon âge (59 ans) et au manque de formation continue à nouvelles méthodes et techniques de communication à maîtriser en adéquation avec le fait que notre société, le public à former évoluent.
J’ai eu fin novembre « une chance » d’aller me présenter en tant que prof intérimaire de néerlandais dans une école communale (où des élèves de 1re et de 2ème secondaires n’avaient eu ni prof ni cours de néerlandais depuis la rentrée de septembre 2016 !!!).
N’ayant pas le titre exact requis pour ce poste, mon dossier devait passer en « chambre de pénuries », ce qui représente une procédure de plus de 3 semaines ! A ce jour, toujours aucune nouvelle !
Quand j’avais parlé de rémunération et de barème avec la personne qui m’avait interviewée, celle-ci m’a dit que si j’avais le poste, je pourrais commencer directement en décembre mais que je ne serais payée que dans 2 mois : !!!??? Tout travail mérite salaire à son terme (dans le cas présent: à la fin de chaque mois! : C’est logique MAIS cela ne s’applique pas aux profs intérimaires ! Alors on me répond avec un air vague: « Vous pouvez éventuellement demander une avance sur salaire au p.o. (= pouvoir organisateur) de l’école ! »
Au total, ce que je retiens de votre article de grande qualité professionnelle, c’est qu’en tant que prof, il faut vivre un contact humain avec les apprenants, développer son charisme personnel pour transmettre du savoir, être capable d’interpeller, de captiver son auditoire avec sa personnalité: ça: pour moi, cela représente un grand « chantier » de réflexion sur moi-même autant en tant qu’être humain que pédagogue.
Merci de nous entraîner sur ces pistes dont je peux dire honnêtement que je méconnaissais l’importance !
Il n’y a en effet pas un modèle unique à suivre pour enseigner. On enseigne avec ce que l’on est, avec ce que l’expérience nous apprend chaque jour, avec notre passion pour la transmission, notre créativité, notre énergie à revendre, et merci de le dire; notre ardeur au travail.
L’éducation nationale française voudrait tout cadrer et imposer des modèles d’enseignement … quelle erreur!
On présente notre métier comme un boulot routinier de fonctionnaire et de fainéant … encore une erreur.
La difficulté reste la perception déformée de cette profession par la société. La majorité des profs ont les caractéristiques que vous citées: passionnés par leur matière ou l’enseignement, très psychologues et habiles quand ils gèrent des grandes classes, dynamiques, studieux (j’ai énorméméent travaillé dans l’entreprise de mon mari avant de devenir AESH dans des collèges et je n’ai jamais pensé autrefois qu’un enseignant travaillait autant!) J’ai été très surprise au début. Maintenant je sais mais je vois encore beaucoup de parents qui critique et qui ne se rende pas copmte de tout ça.
Je partage l’avis de M Grenassia qui enseigne à des adultes futurs enseignants. Ce qu’il dit est aussi vrai pour les enseignants de lycée ou collège ou primaire.
Le choix des démarches pédagogiques et des activités est toujours tourné vers cette priorité: susciter un cours dialogué et rendre les élèves acteurs.
Ce n’est pas un exercice facile, surtout avec de jeunes apprenants qui n’ont pas choisi d’être sur les bancs de l’école et qui parfois rejettent complètement cette école.
En utilisant le jeu, l’écoute, la répétition, beaucoup de patience, de persévérance, il est possible de réconcilier quelques récalcitrants mais on peut parfois échouer, ce qui peut laisser des traces indélébiles et générer de nouveaux futurs parents remontés contre l’école. Ce mécanisme n’est pas sain. Il est pourtant entretenu par cette idée, fausse à mon avis, que seule une bonne scolarité permet de réussir sa vie.
On ne nourrit pas du ressentiment à vie contre l’entraineur qui n’a pas fait de nous un grand sportif … il est fréquent par contre que l’on nourrisse longtemps ce ressentiment contre l’école ou contre les enseignants en général . Je ne me l’explique pas. Et encore moins depuis que je me démène dans les aventures quotidiennes de ce métier à risque!