ADEAF Thérèse Clerc

Association pour le Développement de l’Allemand en France (ADEAF) Thérèse Clerc

Que pensez-vous de l’ « effort exceptionnel » pour l’allemand annoncé par le ministère dans sa stratégie des langues ?

Nous avons intitulé l’un de nos communiqués « discours et réalité, le grand écart » ! Il y a un discours officiel qui est volontariste pour l’allemand, et si on ne regardait pas attentivement les mesures, on ne pourrait que se féliciter ! Malheureusement la réalité contredit très fortement les discours. Ce qui est présenté comme « un effort exceptionnel » pour l’allemand continue d’être un recul important.

La ministre met par exemple en avant 1 000 écoles primaires supplémentaires où l’allemand va être implanté, mais il y a beaucoup d’interrogations sur cette mesure. On ne sait pas, par exemple, si ce sera en concurrence avec l’anglais, ou en complémentarité. Nous savons qu’il est très difficile d’implanter une langue autre que l’anglais dans le primaire, toute la demande des familles allant vers l’anglais. De plus, il peut y avoir des difficultés d’organisation spécifiques au primaire, car si l’on veut que cela fonctionne bien, il faudrait que les enseignements soient dispensés par les professeurs des écoles eux-mêmes. Or, il faut trouver les compétences, flécher les postes…

Et l’implantation de l’allemand dans 1 000 écoles primaire sur 52 000  ne compensera jamais la suppression des classes bilangues dans 1 000 collèges sur  7 000 !

Pourtant, il y a un discours officiel positif sur les classes bilangues. Grenoble vient par exemple d’annoncer un doublement de ses classes bilangues en 2016, avec un effort particulier pour l’allemand.

Je ne comprends absolument pas les chiffres annoncés par le rectorat de Grenoble ! Pour nous, le nombre de classes bilangues allemand-anglais s’élevait à 210 à la rentrée 2015 dans l’académie, et nous en comptons 73 à la rentrée 2016, ce qui fait une diminution de 65 %. Je ne m’explique donc pas ce raisonnement, une hypothèse possible est qu’avec l’application stricte de la continuité primaire/collège, le nombre de bilangues ouvertes aurait été inférieur (1). Comme cette notion de continuité a été récemment assouplie, le nombre de bilangues maintenues a pu être augmenté. Mais il n’empêche qu’au total, beaucoup de sections bilangues vont fermer. Une seconde hypothèse est que la rectrice appelle « bilangues » les classes LV2 de 5e.

L’apprentissage d’une LV2 dès la 5e ne permettra pas, selon vous, de compenser la fermeture des classes bilangues ?

Malheureusement non ! Je rappelle que le parcours bilangues pour l’allemand concerne 90 % des élèves qui apprennent cette langue, et en 4e, qui était jusqu’à présent la classe de référence pour la LV2, il concerne encore 2/3 des élèves. Cela veut dire que de nombreux élèves vont subir une diminution horaire en allemand, puisqu’en classes bilangues le nombre d’heures est beaucoup plus important sur l’ensemble des années collège.

Mais l’allemand devrait être enseigné dans 700 collèges supplémentaires à la rentrée 2016, selon la ministre… Cela ne devrait-il pas renforcer l’enseignement de l’allemand dans le secondaire ?

Non, car ce que cachent les chiffres, c’est que des LV2 sont ouvertes là où des bilangues sont supprimées ! Donc ce qui est présenté comme une création est en fait un remplacement. Je suis d’ailleurs stupéfaite des acrobaties et des contorsions utilisées pour arriver à présenter les choses de façon positive alors que la réalité est toute autre.

Toutes les académies perdent-elles des classes bilangues ?

Il n’y a que 2 académies qui ne perdent pas de classes bilangues en 2016, et une pour laquelle la perte est très faible. Mais il y a surtout une perte de la spécificité des bilangues. Même là où elles sont maintenues, elles sont vidées de leur substance, puisqu’en 6e, il n’y a pas de cadrage national pour les horaires en bilangue. Les chefs d’établissement peuvent répartir à leur guise les heures. Ensuite, à partir de la 5e, la bilangue disparaît, il n’y a plus que 2 grilles horaires : la grille LV1 et la grille LV2. L’allemand, qui passe en LV2, bénéficie donc d’un horaire moindre que celui en vigueur dans les classes bilangues actuelles.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation et avons lancé un questionnaire pour les enseignants de collège, afin qu’ils nous indiquent l’évolution des horaires de langues dans leurs établissements.

Que préconisez-vous pour améliorer le développement de l’enseignement de l’allemand ?

Pour nous, la meilleure piste serait la généralisation des classes bilangues sur les 4 années de collège, à parité horaire pour les 2 langues, sans condition d’un enseignement préalable en primaire. Ainsi que le maintien et l’extension des sections européennes.

Nous avons été également surpris devant l’absence totale de dialogue avec le ministère. Il n’y a aucune négociation, c’est à prendre ou à laisser. Le ministère et les rectorats sous-estiment l’impact de la réforme du collège sur les enseignants en termes humains. C’est pourtant de leur responsabilité de veiller au bien-être des enseignants au travail ! Parmi les enseignants d’allemand, certains vont perdre beaucoup d’heures. Ils sont épuisés moralement, vivent cela comme un manque de reconnaissance pour leur engagement et un déni de leur travail. Et le côté « passage en force »  les atteint également. Certains sont en lutte depuis près d’une année maintenant et n’ont rien obtenu. Je pense qu’il faut attirer l’attention de l’employeur sur sa responsabilité à l’égard des personnes qui travaillent pour lui.