Isabelle Ducos-Filippi est enseignante de lettres classiques au Collège Les Hyverneaux, à Lésigny, en Seine-et-Marne et chargée de mission pour les troubles du langage et de l’apprentissage (TSLA) dans l’académie de Créteil.

isaComment êtes-vous devenue formatrice Dys ?

J’enseigne depuis 1986. Comme tous les enseignants, en classe ordinaire, j’ai eu et je continue à avoir des élèves dys. Un jour, j’ai ressenti le besoin de sortir de l’empathie, du bricolage, et de professionnaliser mes pratiques. L’élément déclencheur : j’ai eu en classe des élèves dys présentant des troubles très importants (et non légers). Je ne savais pas comment les aider.

Vous ne vous sentiez pas bien formée ?

Dans la formation initiale telle que je l’ai connue il y a 30 ans, il n’y avait rien sur la prise en charge des dys. Aujourd’hui encore, la formation est très embryonnaire, alors que la formation continue est au contraire très riche. Je ne dis pas que c’est mal : il faut peut-être avoir déjà eu des élèves dys en classe pour comprendre leurs difficultés et mettre en place des stratégies…

Toujours est-il que je ne me sentais pas assez formée, et que j’ai voulu me spécialiser. J’ai donc passé en 2009 le certificat pour l’adaptation et la scolarisation des élèves en situation de handicap (2CA-SH), ce qui m’a permis de tout savoir sur les troubles dys – au-delà des nombreux clichés et fausses représentations.

Quand on parle de “dys” en milieu ordinaire, de quels troubles parlons-nous ?

Dyslexie, dysorthographie, dyspraxie, dyscalculie, trouble de l’attention avec ou sans hyperactivitée (TDA/H)… il existe toute une constellation de troubles neurobiologiques, qui entrainent des difficultés pour les élèves. La nouvelle appellation, qui date d’un an et qui est censée remplacer le terme de “dys”, c’est TSLA : “troubles spécifiques du langage et des apprentissages”.

Cette terminologie est importante. Elle est médicale. Le mot “trouble” signifie qu’il ne s’agit pas d’une difficulté, ou d’un retard. Même si des progrès sont possibles, il y a l’idée de durabilité : cela durera toute la vie de l’élève. Les enseignants doivent absolument l’entendre. Le terme  “spécifique” signifie que le trouble est circonscrit à un domaine. Ce qui signifie que les dys ont une intelligence normale : ils n’ont pas de déficit sur le plan moteur ou sensoriel.

Quelle est la chance pour un enseignant d’avoir un élève TSLA dans sa classe ?

Tout enseignant a déjà rencontré, ou rencontrera forcément un élève dys. La prévalence est de 8% d’une classe d’âge, selon l’Académie nationale de médecine. En général, les dys sont scolarisés en classe ordinaire, avec ou sans AVS, ou dans une classe ULIS.

Ces troubles sont de mieux en mieux connus des profs, mais pas assez ! L’importance de la formation continue dans ce contexte est primordiale, tout en sachant que la demande d’accompagnement est forte. En 5 ans, j’ai dû intervenir dans 200 collèges et lycées de Seine-et-Marne.

Qu’avez vous mis en place pour mieux accompagner vos élèves dys ?

La prise en charge de mes élèves dys (dyslexiques, dyspraxiques, dysorthographiques) est très encadrée. J’essaie de favoriser tout d’abord la mise en place du PAP (projet d’accompagnement personnalisé), mis en place en 2015 pour les TSLA. Cet accompagnement ne dépend pas de la simple bonne volonté de l’enseignant : la pathologie doit avoir été reconnue par un médecin. Auparavant, il appartient au prof d’être attentif, afin de repérer de possibles troubles.

J’ai aussi changé de posture, en faisant en sorte de mieux connaître les difficultés de mes élèves, afin d’adopter une bienveillance pédagogique. Elle se traduit par la fin de toute minimisation ou indifférence face aux troubles. Enfin, j’ai mis en place une pédagogie adaptée, afin de lever les obstacles – lecture, écriture, organisation et mémorisation. Avant chaque séquence, je réfléchis à des stratégies de compensation pour les contourner.

Pour faciliter la lecture, par exemple, je joue sur le choix des supports. J’utilise notamment des outils de synthèse vocale sur ordinateur, ou des logiciels comme Dys-Vocal ou “LireCouleur”, qui colorisent les syllabes des mots. En ce qui concerne l’écriture, pour les dyspraxiques, l’idée est de soulager l’élève : je lui propose des textes à trous, je le laisse utiliser un ordinateur. Je peux aussi mettre à sa disposition les mots d’une définition, quand il doit en écrire une.

Existe-t-il des stratégies semblables pour les dyscalculiques et les TDA/H ?

Chez les dyscalculiques, il n’existe pas encore beaucoup de stratégies de compensation, nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Mais il est possible de faciliter les opérations mathématiques grâce à l’utilisation de gabarits, de logiciels de maths spéciaux, ou en laissant à l’élève un temps supplémentaire pour réaliser des exercices.

Quant aux TDAH, il est possible de mettre en place un dispositif pour les aider à maintenir leur attention. Par exemple, l’enseignant utilisera un minuteur, ou séquencera la distribution des activités. Il peut même fournir à l’élève un “isoloir” en carton à installer sur sa table, afin de réduire les sources de distractions.

Les enseignants ont pour mission de repérer les TSLA… Existe-t-il des outils pour les y aider ?

Il existe des outils, pas toujours connus des profs. Pour la dyslexie, le ROC (repérage orthographique collectif) est une série d’épreuves à faire passer à la classe, qui permettent de définir un “niveau d’alerte” en orthographe.

Pour le TDAH, le questionnaire de Conners est une échelle d’observation comportementale : l’élève est-il incapable de rester immobile, a-t-il une durée d’attention problématique… Transmise au médecin (généraliste ou scolaire), l’échelle facilite le diagnostic.

La dyspraxie se repère assez tôt, dès la maternelle, grâce à des grilles d’observations. Un prof des écoles pourra remarquer des signes en observant le comportement de l’enfant : comment il fait ses lacets, comment il tient son crayon, ou encore, comment il se débrouille avec les jeux de construction.

Que pensez-vous de l’utilité du numérique face aux TSLA ?

L’utilisation des TICE est particulièrement utile. Le fait que les élèves qui souffrent d’un TSLA puissent apporter leurs tablettes ou ordinateurs en classe est d’ailleurs prévu par le PAP. L’avantage des outils numériques, c’est qu’ils proposent de nombreuses applications pour dépasser les obstacles de lecture et d’écriture.

Par exemple, un élève dys peut travailler avec un ordinateur équipé d’une synthèse vocale. Il peut aussi utiliser un logiciel comme OneNote, afin de créer un ”classeur virtuel” : il n’aura plus besoin de cahiers, ce qui répondra à ses difficultés d’organisation. Les TICE permettent aussi d’utiliser des manuels numériques, et des exercices que l’élève n’aura pas à recopier, ce qui permet de simplifier la tâche d’écriture.