On critique souvent le niveau des Français en langues vivantes. Sont-ils si mauvais que certains le disent ?
Je crois qu’il faut se garder de toute simplification dans ce domaine, je ne sais pas si les Français sont plus mauvais que les autres.
Personnellement je suis professeur d’anglais, et il me semble que nos élèves sont extrêmement ouverts et intéressés par tout ce qu’ils voient. Honnêtement j’ai l’impression que le niveau en anglais des élèves de lycée aujourd’hui est plus élevé qu’il y a quelques années. Ce n’est peut-être pas à cause des cours (rires), mais, du fait des nouvelles technologies, il y a une exposition à la langue qui est plus forte aujourd’hui.
C’est donc un cliché de dire que les Français sont mauvais en langues ?
J’ai le sentiment que c’en est un. Peut-être que les Français prononcent plus mal que les autres, mais je ne suis pas spécialiste de phonétique. On nous raconte souvent que c’est une question de différences entre langues vivantes, que le français ne correspond pas tout à fait à la fréquence sonore de l’anglais, mais lorsqu’on entend des Espagnols ou des Italiens parler anglais, ils ne parlent pas mieux que nous !
La ministre de l’Éducation nationale a dévoilé sa stratégie langue vivante, comment avez-vous accueilli ce dispositif ?
Nous redoutions une suppression totale des sections bilangues. La ministre en maintient 70% environ, avec un effort particulier vers les bilangues allemand-anglais. Ce sont les points positifs, mais nous déplorons de nombreuses disparitions de sections bilangues qui fonctionnaient bien dans d’autres langues que l’allemand et l’anglais. En outre, toutes nos autres critiques concernant la réforme du collège demeurent.
Justement concernant la réforme du collège, il y a eu un échange de courriers entre l‘APLV et Najat Vallaud-Belkacem. Pourquoi une telle initiative ?
Il ne nous a pas été souvent possible d’être reçus au ministère depuis que l’on parle de la réforme du collège, mais nous avions évoqué précédemment avec lui nos inquiétudes concernant l’absence de diversité dans les choix de langues. Nous avons le sentiment que cette réforme est une réforme administrative concoctée par différents services du ministère, sans véritable consultation. Nous représentons des enseignants, nous n’avons aucune position politique, mais nous sommes inquiets par rapport à un certain nombre de choses. D’abord par rapport à la suppression des classes européennes, qui étaient un vivier d’élèves très motivés par les langues et qui souvent faisaient ensuite des carrières soit dans l’enseignement, soit dans le commerce. A tous niveaux nous avons besoin de bons linguistes pour le développement économique du pays.
Nous sommes également gênés par le fait que les classes bilangues semblent privilégier avant tout l’allemand, et qu’il y a eu beaucoup de fermetures concernant d’autres langues, comme l’espagnol et les langues régionales. Ce qui nous inquiète aussi, c’est qu’il y a une formation des professeurs des écoles qui nous paraît très insuffisante pour l’enseignement des langues. En conséquence parfois ce qu’ils font n’a pas vraiment d’effets, et les collègues qui enseignent en 6ème sont obligés de recommencer pratiquement à zéro.
Il y a également les fameux EPI, qui peuvent jumeler une langue et une autre discipline. Mais quand on a deux enseignants, dont un linguiste, on craint fort que cela ne se passe en français et non en langue étrangère. C’est donc une perte d’heures pour un résultat assez illusoire.
Du 25 au 29 janvier se tenait la semaine de la classe inversée. Pensez-vous que cette méthode originale puisse favoriser l’apprentissage des langues vivantes ?
Vous savez, lorsque j’ai été formé, c’était la période de l’audiovisuel. Je me souviens de ma tutrice qui faisait déjà débattre ses élèves sur de l’audiovisuel, alors que beaucoup à l’époque se contentaient de répétitions. En d’autres termes, les enseignants qui réfléchissent savent trouver les méthodes qui vont faire progresser leurs élèves. Aujourd’hui, l’approche actionnelle préconisée me satisfait totalement.
Je pense que la classe inversée ne change rien, avec en plus la peur que les élèves favorisés aillent faire des recherches pour nourrir les cours, alors que les élèves provenant de milieux défavorisés risquent de moins pouvoir le faire. En tant qu’enseignant, je préfère faire cours en sorte que ce soit le professeur qui suggère les thèmes de discussions et les supports sur lesquels on travaille, et que les élèves soient amenés à en discuter avec leurs enseignants.
Concrètement, que faudrait-il changer dans l’apprentissage des langues en France ?
Pour faire simple, je dirais qu’il faut revenir à un nombre d’heures suffisantes pour qu’il y ait une véritable exposition à la langue dans les salles de classe. À l’APLV, nous avons l’avantage d’avoir un passé de plus de 100 ans d’études derrière nous, et nous constatons qu’au début du 20ème siècle, quand on a voulu mettre en place l’enseignement des langues à une échelle très développée, on a fait en sorte que les élèves aient entre 4 et 6 heures de cours de langue par semaine.
Aujourd’hui, on est passé de 3/4h par classe à 3h en seconde et 2h en première et terminale, ce qui est très insuffisant. En collège, la réforme qui arrive certes enseignera la 2ème langue dès la 5ème, mais à raison de 2h30 par semaine, et je crois que 3x2h30 sera moins efficaces que 2x3h.
Si l’on veut que les Français parlent les langues, il faut vraiment leur proposer au minimum 3h et de préférence 4h de cours par semaine. Il faudrait également mieux former les professeurs des écoles.
C’est l’évidence : pour apprendre mieux et plus, il faut plus d’heures de cours, je crois que ça commence par là.
De même : on pourrait appliquer cette logique à tout le reste : pour que les élèves connaissent moins de difficultés de lecture, il faut plus d’heures consacrées à la lecture, et pour qu’ils maîtrisent mieux le français, il faut plus d’heures d’étude de la langue française sous toutes ses facettes : grammaire, orthographe, vocabulaire ET littérature, qui permet d’appréhender la diversité et la richesse de la langue, en même temps qu’elle permet de se confronter aux grands thèmes de la pensée universelle – et qu’elle donne donc du sens et du sel à l’étude de la langue.
Plus d’heures de « cours », mais surtout plus d’heures d’oral, et en petits groupes !
La réforme du collège, c’est moins d’heures de cours de langue (2h30).
C’est la diminution par deux des heures de cours pour les classes bi langues ou européennes.
C’est la disparition de l’enseignement disciplinaire du latin et du grec.
La redistribution des heures de langues prises aux uns pour les autres abouti à un système appauvri en heures hebdomadaires de cours de langue pour tout le monde.
Or c’est cet indicateur la qui permet d’être efficace pour l’acquisition des langues et pas le nombre d’heures totales sur un cycle.
Jamais les élèves ne pourront atteindre en fin de cycle un niveau suffisant quelque soit la langue.