Rudy-Salles

Rudy Salles

Quels sentiments vous animent après avoir entendu plus de 150 personnes, sur la question de la mixité sociale dans l’éducation nationale ?

Ce travail a été réalisé en tandem avec un député socialiste avec lequel je suis, a priori, en désaccord sur un certain nombre de points concernant l’Éducation nationale.

Je dis « a priori », car au sortir de cette mission, il se trouve que nous avons adopté ce rapport sans différences marquées entre nous. Pourquoi ? Parce que pendant six mois nous avons été amenés à regarder la réalité en face en nous rendant dans un certain nombre de quartiers difficiles et en allant, aussi, voir ce qui se passe l’étranger.

Yves Durand et moi sommes tous deux très attachés à ce que l’école permette l’intégration dans la République, qu’elle offre à chaque enfant l’égalité des chances. Or, notre système ne la garantit pas, puisqu’un enfant scolarisé dans un quartier défavorisé (où un certain nombre d’enfants ont des difficultés chez eux, ne bénéficient pas d’un milieu familial favorisant l’éducation, où se trouvent un certain nombre d’élèves venant de l’étranger ne parlant pas toujours le français…), cet enfant-là, malheureusement, portera ce fardeau toute sa vie.

Sur un sujet comme celui-là, nous avons la nécessité de trouver ces points de convergences, car on touche à l’essentiel, au devenir des enfants, c’est-à-dire à l’avenir du pays. L’école mérite qu’on mette les pouces sur un certain nombre de querelles politiciennes.

Vous défendez la mixité sociale tout en écrivant que celle-ci est un « objectif incertain » et qu’elle ne peut pas être « l’alpha et l’oméga de la politique scolaire ». Pourquoi ?

Renforcer la mixité sociale peut être un moyen de parvenir à la réussite scolaire de tous les enfants et c’est pourquoi nous la recherchons. Mais pour autant, tout ne peut pas reposer sur celle-ci. Je vais vous donner un exemple. Au nom de la mixité sociale on a, par exemple, essayé de renforcer la carte scolaire.

Résultat, vous avez des élèves qui sont parfois condamnés à rester dans un secteur défavorisé, où le niveau d’études n’est pas celui qu’il devrait être et qui, finalement, subissent la double peine : celle d’habiter dans un secteur défavorisé et la peine de recevoir un enseignement de « second niveau ».

C’est une réalité, mais une réalité écrite nulle part parce que ces choses-là ne s’écrivent pas. D’ailleurs quand vous visitez les établissements scolaires, aucun principal de collège, directeur d’école ou proviseur de lycée ne vous dit que chez lui, cela ne va pas.

Parmi les pistes évoquées dans votre rapport, vous proposez de développer la culture de l’hétérogénéité dans les établissements, que les enseignantes changent leur façon de travailler ou encore de contraindre les chefs d’établissement à constituer des classes hétérogènes. En demandant aux enseignants de gérer un problème que les responsables politiques ne parviennent pas à traiter, ne dédouanez-vous pas l’État de ses responsabilités ?

Non, bien évidemment il n’est pas question de dédouaner l’État. Mais les responsabilités sont partagées. Dans les établissements que nous avons visités, nous nous sommes rendu compte que, là où il y a des chefs d’établissement très impliqués, là où il y a des équipes pédagogiques fortes, soudées, qui ont un certain passé en commun, alors les choses se passent mieux que là où il y a un turn-over très important.

Nous avons été frappés par l’exemple hollandais où le chef d’établissement choisit ses professeurs et peut les remplacer s’ils ne partagent pas le projet pédagogique. Sans aller jusqu’à ce système, nous pensons qu’il y a quelque chose à rechercher dans cette voie puisque, là-bas, les enfants des écoles « défavorisées » ont des résultats scolaires équivalents à ceux des écoles favorisées.

Mais ces résultats ne s’expliquent pas uniquement par cette capacité à gérer l’effectif de cette manière libérale ?

Non en effet, ces écoles défavorisées disposent aussi et surtout du double des moyens des autres, par exemple les classes ne comptent pas 25 ou 30 élèves, mais de 12 à 15. Imaginons qu’au lycée Louis-le-Grand de Paris, les classes comptent 40 ou 45 élèves, cela n’altérerait en rien la réussite scolaire de ces élèves issus de milieux très favorisés.

En revanche, dans les secteurs défavorisés, si vous avez 30 élèves par classe, c’est foutu ! C’est pourquoi nous demandons que les écoles des milieux défavorisés disposent d’une équipe pédagogique très soudée, d’un chef d’établissement qui soit un véritable animateur de projets et qui dispose de moyens supplémentaires. Aujourd’hui dans les REP ou dans les REP +, ces moyens supplémentaires sont de l’ordre de 10 %, il faudrait le double des moyens accordés aux écoles non défavorisées pour pouvoir arriver à des résultats comparables.

Votre document mentionne une étude menée en Angleterre qui montre que « les élèves défavorisés » obtiennent les meilleurs résultats dans les établissements dans lesquels ils sont très peu nombreux, mais aussi dans ceux où ils sont largement majoritaires. Ce « paradoxe du Ghetto » – pour reprendre la terminologie de The Economist – s’applique-t-il en France ?

Une anecdote. Un jour aux Pays-Bas, on nous annonce que nous allons visiter « une école noire » et « une école blanche » (NDLR : aux Pays-Bas, les parents sont libres de choisir l’école de leurs enfants). Rien qu’à l’entendre formulé ainsi, nous sommes interloqués ! Les deux bâtiments sont face à face, utilisent la même cour, mais pas aux mêmes heures pour les « Blancs » et les « Noirs ». C’est un système communautariste qui est totalement contraire à nos principes républicains. Mais nous constatons que les élèves de l’école défavorisés réussissent aussi bien que ceux d’en face… car cette école-là dispose du double de moyens par rapport à l’école des milieux favorisés.

Nous sommes évidemment opposés à la ghettoïsation, mais le fait est que celle-ci existe déjà dans un certain nombre de nos quartiers. Et cette ghettoïsation n’est pas simplement scolaire, elle est urbaine, sociale, ethnique… Il y a donc tout un tas d’éléments qui y contribuent et qu’il faut combattre de toutes nos forces si on veut une société qui fonctionne de manière harmonieuse.

Dans les quartiers nord de Marseille, nous avons rencontré des enfants qui, des fenêtres de leur classe, aperçoivent la mer à l’horizon… mais qui ne sont jamais allés à la plage ! Voilà pourquoi nous proposons que les secteurs scolaires soient parfois redéfinis en tenant compte notamment des moyens de communication. Autrement dit, que l’on puisse rattacher certaines écoles, dès lors qu’elles sont reliées par des transports en commun faciles, rapides et cadencés, pour que les enfants ne soient pas obligés de rester uniquement dans leur quartier.

Une proposition fera sans doute débat : celle de soutenir l’implantation d’établissements privés dans les zones dites « difficiles ».

Il n’est pas question de réveiller la guerre scolaire ou de faire en sorte qu’il y ait une compétition malsaine entre l’école privée et l’école publique. Mais l’école privée existe, elle a droit de cité, y compris dans les quartiers plus difficiles, or elle y est peu présente. Notre proposition consiste à faire en sorte que les écoles privées puissent assumer une part de ce travail de recherche de mixité sociale. C’est un challenge qui, effectivement, pourra choquer certains, mais il y a une piste à creuser. Il nous paraît sain que le secteur privé assume sa part.

Un mois avant la publication de votre rapport, la ministre de l’Éducation nationale a annoncé des expérimentations en matière de mixité sociale à venir dans 17 départements. Vous le regrettez ?

Oui, cela nous a paru un peu curieux, nous pensons que le gouvernement aurait pu attendre la publication de ce rapport avant de prendre des mesures, de façon à pouvoir éventuellement enrichir les mesures proposées. La ministre n’a pas jugé ainsi, c’est regrettable. Mais aujourd’hui le rapport est entre les mains de l’État… L’objectif est de pouvoir inspirer les politiques publiques qui sont menées par les gouvernements et le fait qu’il s’agisse d’un rapport « transcourants » lui donne plus de force que s’il s’agissait d’un rapport partisan.