Marc Horwitz, fondateur d'Egale et co-auteur du Dictionnaire de la Laïcité

Marc Horwitz, fondateur d’Egale, co-auteur du « Dictionnaire de la Laïcité » et de « Ma liberté, c’est la laïcité »

Pourquoi avoir réédité “Ma liberté, c’est la laïcité”, en octobre dernier ?

Deux ans après avoir publié “Ma liberté, c’est la laïcité”, qui faisait suite à notre “Dictionnaire de la laïcité” (récompensé par le Prix de l’Initiative Laïque 2012), Martine Cerf (secrétaire générale d’Egale) et moi-même, voulions “mettre à jour” notre dernier ouvrage et le rendre davantage accessible – plus uniquement aux enseignants, mais aussi aux élèves et à leurs parents.

Depuis 2013, les choses ont bougé à l’Education Nationale, qui a conçu ses propres ressources, ce qui nous a poussé à en intégrer dans notre livre, comme la Charte de la Laïcité.

L’attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo, attaque très violente contre la laïcité, a accéléré le mouvement. Nous devions aller plus loin, revoir plusieurs chapitres. Robert Badinter, auteur de la préface, a revu son texte afin d’insister sur l’importance du vivre ensemble, un principe fondamental, sur lequel repose la laïcité.

Nous avons aussi ajouté quelque chose d’inédit : une chronologie de la laïcité, de 1789 à nos jours. Nous avons enfin écrit un petit texte sur les égratignures infligées au fil du temps à un texte fondamental : la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Par exemple, nous citons plusieurs accords passés par l’Etat avec le privé, depuis 1970.

Le hasard a voulu que “Ma liberté, c’est la laïcité” soit réédité peu avant le 13 Novembre… Aujourd’hui, nous sommes encore plus Charlie. Notre livre répond à une vraie demande de la part des enseignants : celle d’une ressource permettant d’ouvrir une réflexion sur la laïcité et les droits fondamentaux que sont la liberté, l’égalité… Et surtout la fraternité, qui a tendance à être un peu zappée.

Vous militiez en 2012 pour instituer une Journée de la Laïcité à l’école, le 9 décembre. Aujourd’hui, le gouvernement semble avoir exaucé votre voeu…

Pas tout à fait. La Journée de la laïcité, à l’école, n’a pas encore été instituée. Ainsi, la résolution votée au Sénat en 2011 ne l’a toujours pas été à l’Assemblée Nationale. Mais nous pouvons espérer qu’elle soit officialisée d’ici à 2017…

Le Dictionnaire de la Laïcité / Marc Horwitz et Martine Cerf

Le Dictionnaire de la Laïcité / Marc Horwitz et Martine Cerf

Pour l’instant, les établissements scolaires sont libres ou non de l’organiser. Le 9 décembre 2015, nous avons pu voir un grand nombre d’initiatives d’enseignants. Mais beaucoup d’autres ont été remises à plus tard par les chefs d’établissements. Certains ont choisi la journée d’aujourd’hui, 7 janvier, un an après Charlie Hebdo. D’autres ont opté pour la semaine précédant les vacances de février, souvent propice aux activités extra-scolaires.

Il serait pourtant préférable de se coordonner et de se recentrer sur une même journée : le 9 décembre, date anniversaire de la loi de 1905. C’est l’occasion pour l’Ecole de remplir pleinement sa mission d’instruction, en expliquant la laïcité. Il faut bien sûr apprendre la laïcité toute l’année. Mais le 9 décembre peut être un point d’orgue, une synthèse de tout ce qui a déjà été réalisé avec les élèves, autour des valeurs républicaines.

Est-ce facile d’enseigner et de mettre en oeuvre la laïcité dans sa classe ?

C’est loin d’être simple, car les enseignants ne sont pas toujours capables d’enseigner la laïcité, malgré les formations qui existent. C’est tout le sens de la mobilisation des tenants de la laïcité, qui forment l’essentiel des troupes de la Réserve citoyenne, et qui viennent expliquer la laïcité aux collégiens, lycéens et écoliers.

Pour mettre la laïcité en oeuvre dans sa classe, il faut savoir ce qu’elle signifie. Or, beaucoup d’enseignants, surtout de primaire, n’ont qu’une idée vague de la laïcité, et se contentent de parler de la loi de 1905. Alors qu’elle va bien plus loin que ce texte.

Un travail important, mais pas impossible, de formation reste à faire. Il est facile de présenter les textes fondamentaux aux profs, et de les commenter avec eux. Quand tous les enseignants finiront par comprendre que la laïcité n’est pas contre la religion, et que son rôle est d’abord de protéger la liberté de penser, nous aurons fait un grand pas.

Finalement, comment définiriez-vous la laïcité, concept assez complexe ?

"Dictionnaire de la Laïcité" / Marc Horwitz et Martine Cerf

« Dictionnaire de la Laïcité » / Marc Horwitz et Martine Cerf

La laïcité telle qu’elle devrait être enseignée est résumée par la Charte de la laïcité à l’école : les enseignants ont pour mission d’éclairer les élèves sur les valeurs de la République.

La laïcité, dans ce cadre, est le fondement du vivre ensemble, tout simplement. Elle signifie accepter l’autre – tel qu’il est, dans toute sa diversité, sans discriminations. Cette idée est importante, surtout à l’Ecole, où le communautarisme doit être combattu, dès la maternelle. La laïcité peut être résumée par cette phrase attribuée à Saint-Exupéry : “Si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m’enrichis.”

L’enseignant doit rappeler aux élèves que la laïcité, issue des Lumières, symbolise le combat contre l’obscurantisme et les dogmes, et qu’elle est à la base de toute liberté de conscience et d’expression. Si dans son discours, le prof parle enfin de l’obligation de neutralité de l’Etat, il aura réussi à décrire la laïcité.

Mais concrètement, comment enseigner la laïcité ?

C’est difficile. Mais un enseignant peut s’appuyer sur les  textes fondateurs de la laïcité, afin de faire réfléchir ses élèves. Au coeur de ce “corpus”, que nous présentons dans notre livre, l’on trouve la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (1789). Un texte révolutionnaire, qui met en avant le respect des valeurs républicaines.

Les articles 1 et 2 de la loi de 1905 sont tout aussi importants, car ils permettent d’étudier la séparation des églises et de l’état. Restent d’autres textes fondamentaux : la Déclaration Universelle des droits de l’Homme (1948), ou encore les Constitutions des IVe et Ve République (1946 / 1958), qui permettent de présenter la France aux élèves comme une république indivisible, laïque, démocratique… et sociale.

Etudier tous ces textes avec les élèves permet de battre en brêche certains discours d’extrême-droite, qui dévoient la laïcité pour en faire un concept (inacceptable) d’exclusion.

Comment agir quand un élève fait preuve de scepticisme, allant jusqu’à contredire son enseignant, par exemple en sciences avec la théorie de l’évolution ?

Aux USA, où les courants créationnistes sont forts, les profs de physique ou de biologie sont régulièrement confrontés à ce phénomène. Mais en France, cela demeure nouveau, et les enseignants ne savent pas toujours comment réagir.

Aucun prof, en tout cas dans le public, ne peut admettre la contestation, par un élève, de son cours, au nom d’une idéologie religieuse. A mes yeux, il faut rester inflexible dans ce genre de situation. Si l’élève ne conteste pas mais semble juste gêné, il peut être utile de faire preuve de pédagogie, en lui expliquant qu’il faut faire la différence entre le dogme et la raison, entre la religion et le besoin de sens critique – fondement de la laïcité.

Développer le sens critique chez l’élève est l’une des missions de l’enseignant : cela permet plus tard au jeune, devenu citoyen, de gouverner sa vie, de faire ses propres choix, indépendamment d’une communauté ou d’une religion.

Face à l’intolérance, la xénophobie et la radicalisation, cette phrase de Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel, prononcée en janvier 2015, résume tout : « la laïcité n’est pas une solution, c’est la solution ! ».