Un an après Charlie Hebdo, 2 mois après le 13 Novembre, comment agir auprès des élèves afin de les armer face à la désinformation ?
Au collège Picasso de Montesson, Lionel Vighier, prof de français, participe à un projet “transdisciplinaire” mis en place en 2014 : une classe à projet, centrée sur l’éducation aux médias. Les “3e Médias” sont encadrés par des enseignants de toutes disciplines, qui ont choisi d’adapter leurs cours, avec “l’angle médiatique”.
Éduquer aux médias toute l’année
Objectif : développer l’esprit critique “par rapport aux médias en les décryptant”, mais aussi “sensibiliser aux enjeux liés à la publication d’informations, en rendant l’élève acteur”. Les 3e Médias sont chargés de produire du contenu journalistique tout au long de l’année, dans toutes les matières.
“Les élèves entendent parler des médias tous les jours. En français, pour étudier une oeuvre, ils écrivent un article ou réalisent une interview”, explique Lionel Vighier. Les productions sont publiées sur le site du collège, ainsi que sur un blog dédié.
Chaque matin, les 3e décryptent l’actu, apprenant ainsi à trier les sources. Ils effectuent aussi des revues de presse, des reportages, des « journées du direct » (« live tweets » d’information). Lionel Vighier a constaté “un regain d’investissement : certains vont jusqu’à finir leurs articles sur leur temps libre. Ils sont acteurs, avec des responsabilités et une deadline à respecter”.
Des élèves « sensibles aux théories du complot »
Avant janvier 2015, Lionel Vighier avait préparé une séquence centrée sur les théories du complot, pour la semaine de la Presse et des Médias dans l’école, en mars.
“A plusieurs reprises, j’avais constaté que des élèves parlaient d’infos douteuses, ou de fausses vidéos vues sur Facebook, qu’ils considéraient comme fiables… c’était en octobre 2014, quand les médias relayaient le canular des ‘Clowns tueurs’”, raconte-t-il.
Suite à Charlie Hebdo, qui a vu fleurir de nombreuses rumeurs, l’enseignant a senti “que des élèves apportaient une grande crédibilité aux théories du complot, et ce qui circule sur Facebook ou Twitter. Cela n’a fait que renforcer l’envie de décortiquer avec eux le complotisme”. Pour Lionel Vighier, si “des élèves ne sont pas insensibles à l’idée d’un monde gouverné par les OVNI”, c’est parce qu’ils sont “noyés par un flot continu d’infos, qu’ils ont du mal à décrypter”.
Analyser la « rhétorique » du complotisme
La séquence s’est étalée sur 3 semaines. “Je n’ai pas essayé de déconstruire les théories du complot, j’ai préféré analyser avec mes élèves la rhétorique de ces théories, la façon dont elles sont présentées”, indique le prof.
Première phase : l’analyse. “Ils ont comparé des théories, afin de dégager des “leitmotiv”, comme ‘les puissants et les médias nous mentent’”, décrit Lionel Vighier. “Ils ont pu constater que “les théories du complot sont construites avec des techniques de storytelling, comme un polar : un événement, des victimes, des coupables insaisissables, un mobile”, ajoute-t-il.
Parodier pour « distinguer fond et forme »

« Michael Jackson : le complot » / Le Before du Grand Journal, sur Canal+, a constitué un support pour Lionel Vighier.
Lionel Vighier a utilisé le “Before” du Grand Journal comme support. “Il s’agit de vidéos de 2 minutes, qui parodient différentes théories du complot, comme la mort de Michael Jackson, oeuvre des extraterrestres”, explique-t-il. “Au-delà de leur côté humoristique, ces vidéos recyclent les leitmotiv et techniques des complotistes”, ajoute-t-il.
Les élèves sont ensuite passé à la “phase de production”. Par petits groupes, ils ont réalisé des parodies de théories du complot, reprenant les techniques et procédés de style utilisés dans ce domaine, sous la forme d’un article, d’une “vidéo enquête”, ou d’une présentation animée.
“Les théories étaient variées, des profs dissimulant leur identité de vampires, au monde gouverné par des chats”, s’amuse L. Vighier. “Toutes étaient solides : les élèves avaient effectué beaucoup de recherches pour les construire”, ajoute le prof.
Et de conclure : “par ce travail de production ludique, donc davantage motivant, ils se sont appropriés la rhétorique complotiste, afin d’être capables de faire la part des choses entre fond et forme, et de faire preuve d’esprit critique”.
Un travail autour des « infaux »
Au lendemain du 13 novembre, Lionel Vighier a réfléchi à une nouvelle séquence, pour la semaine de la Presse et des Médias de 2016. “Cette fois, nous travaillerons sur les ‘infaux’, ou fausses informations, ainsi que sur les rumeurs et les images bidonnées ou détournées… J’ai de la matière avec ce qui circulé après les attentats !”, explique le prof.
Comme avec les théories du complot, “les jeunes sont sujets à la rapidité de l’info. Ils passent beaucoup de temps sur Twitter et Facebook. Ils consultent rarement les journaux, papiers ou en ligne. Pour eux, les réseaux sociaux sont une source fiable”, indique Lionel Vighier.
« Pas le réflexe de remonter à la source »
Selon l’enseignant, “il y a finalement peu d’élèves croyant réellement aux théories du complot. Mais ils sont bien plus nombreux à croire aux infaux : les mensonges véhiculés sont plus faciles à croire car il s’agit souvent de vraies photos, détournées et partagées massivement.” Pour un élève de 3e, “si une vidéo est vue 3 millions de fois, alors l’information est crédible”.
Dans sa séquence, le professeur insistera sur les méthodes de vérification de l’information, “qui manquent aux élèves. Les rumeurs sont faciles à démonter, il suffit de chercher. Mais ils n’ont pas le réflexe de remonter à la source”, indique-t-il.
L’objectif sera là encore de “développer le regard critique des élèves, afin qu’ils apprennent à dissocier une image du texte qui l’accompagne”.
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