Et si vous faisiez référence à Star Wars en cours pour philosopher avec vos élèves ? L’idée n’a rien d’absurde, bien au contraire. Gilles Vervisch, prof agrégé de philo au lycée Paul Emile Victor, à Osny (Val d’Oise), a publié un livre (“La philo contre attaque”) sur la portée intellectuelle de la saga – dont le 7e épisode est sorti le 16 décembre.
« Du mythe à la philo, il n’y a qu’un pas »
Pour l’enseignant, Star Wars appartient à un courant que l’on appelle “pop philo” – autrement dit, la philosophie démocratisée et davantage accessible grâce à la pop culture. “Déjà, avant ce livre, j’avais animé une conférence TedX en 2012, durant laquelle j’avais traité de la diversité à partir des Clones de Star Wars, qui sont tous pareils”, explique-t-il. “Cette fois, je me suis penché sur les questions philosophiques fondamentales que reprend la saga”, ajoute le prof.
Gilles Vervisch rappelle qu’au départ, “Georges Lucas voulait aborder plusieurs grands mythes universels dans Star Wars”. Le réalisateur était ainsi “parti du prof de philosophie Joseph Campbell, dont l’ouvrage de référence, “Le Héros aux mille et un visages”, traite du “monomythe”, c’est-à-dire le scénario commun à tous les récits initiatiques de héros dans les différentes mythologies connues”.

“Dark Vador apprend à Luke qu’il est son père, et qu’il a une destinée. Son parcours pose la question du choix : sommes-nous libres ou pas ? » / G. Vervisch.
Ainsi, Star Wars est d’abord, note Gilles Vervisch, “un grand récit mythique et initiatique… et forcément, quand on est dans le mythe, l’on se trouve dans un genre de fiction à travers laquelle les hommes s’interrogent sur leur condition, et du mythe à la philo, il n’y a qu’un pas”. Et de citer Aristote : “celui qui aime les mythes aime la philosophie”.
Le destin, le bien et le mal
Dans Star Wars, plusieurs grands thèmes sont abordés. D’abord, le bien et le mal. “La saga se pose continuellement ces questions : qu’est-ce que le mal, le bien ? Est-ce réel, ou relatif ?”.
Autre thème exploré dans la saga cinématographique : la question du destin. “Dark Vador apprend à Luke Skywalker qu’il est son père, et qu’il a une destinée. Son parcours pose la question du choix : sommes-nous libres ou pas ?”, explique Gilles Vervisch.
La saga permet d’explorer les idées des stoïciens, qui “croient au destin”, et a contrario, celles de Sartre, qui “dit que nous avons toujours le choix”. L’exemple le plus intéressant à ce sujet est celui du personnage de Lando Calrissian, “qui trahit son ami en disant qu’il n’a pas pu faire autrement, avant de décider qu’il a le choix de se raviser”.
La technique, l’étoile de la mort et les robots
Star Wars aborde aussi la philosophie de la technique – les rapports de l’Homme avec la technologie. “L’étoile de la mort est une arme de destruction. Dark Vador est une machine… Il y a dans ces films une certaine critique de la technique”, note l’enseignant. Mais “il n’y a pas que du négatif, puisqu’il y a aussi des robots gentils, qui aident les gens, comme R2D2 et C3PO.”
“A chaque fois, dans la saga, tout est problématique, et il n’y a pas de réponse évidente”, ajoute Gilles Vervisch. Ainsi, la question “devons-nous avoir peur des machines” ne trouve pas vraiment de réponse dans Star Wars – dans la suite de la philosophie de Descartes, “qui cherche à savoir si la technique doit apporter ses bienfaits à l’humanité.”
Philosophies Zen et Samouraï
Mais la “philosophie centrale” explorée dans Star Wars, “c’est celle des Jedi, à travers les petites phrases de Yoda, comme ‘la peur mène à la colère et à la souffrance’, ou ‘personne par la guerre ne devient grand’, diamétralement opposée à l’idée de Hegel qui pense que la guerre n’est pas un mal absolu”, indique Gilles Vervisch. Cette philosophie “est davantage orientale qu’occidentale”, ajoute-t-il. Ainsi, la philosophie de Star Wars “emprunte beaucoup à celle des Samouraï et du courant Zen”.
Parler de Star Wars en cours de philo permet de présenter aux élèves les théories des penseurs orientaux Miyamoto Musashi et Yagyū Munenori, ou du maître bouddhiste Zen Taisen Deshimaru. A ces philosophes “anti-cartésiens”, qui pensent “qu’il faut essayer de vider son esprit”, il oppose Descartes, qui “prône l’idée du ‘je pense, donc je suis’, qu’il faut penser, réfléchir, pour trouver la sagesse”.
Apprendre la philo avec Star Wars
Pour Gilles Vervisch, Star Wars permet d’aborder la philosophie avec ses élèves sous un angle plus “divertissant”. Il y fait régulièrement référence en cours, “pour ouvrir sur de nombreux auteurs au programme” de Terminale.
Dans La Revanche des Sith, “quand Palpatine annonce, sous les applaudissements, que la République va devenir un Empire, je raccroche cela à La Boétie et à son Discours de la servitude volontaire, qui explique qu’un tyran ne gouverne jamais par la force, mais par la volonté du Peuple d’être dominé”.
Quand il parle du “bien et du mal” à ses élèves, Gilles Vervisch présente le manichéisme, “une religion fondée par le perse Mani au 3e siècle, et qui avait pour fondement la lutte entre le bien et le mal.” Dans Star Wars, “il y a une vision plus relative du bien et du mal, moins manichéenne que l’on imagine, puisque l’on peut très facilement passer du côté ‘Obscur’ de la ‘Force’ au côté ‘Lumineux’”, explique l’enseignant.
A ce sujet, il se réfère à la philosophe allemande Hannah Arendt, “qui lors du procès Eichmann, à Jérusalem, a proposé le concept de la ‘banalité du mal’ pour expliquer qu’il ne faut pas forcément être mauvais pour faire le mal”.
La “pop philo” pour motiver les élèves

“La saga se pose ces questions : qu’est-ce que le mal, le bien ? Est-ce réel, ou relatif ?” G. Vervisch
En diffusant à ses élèves de courts extraits de Star Wars, et en analysant avec eux ces passages, le professeur parvient à “capter l’attention de tous, bien plus que traditionnellement”.
“Il ne suffit toutefois pas de regarder la saga pour passer le Bac ! Ou au moins pour comprendre tous ses messages : voilà pourquoi il est capital de les expliquer ensuite, en les raccrochant à des philosophes bien réels”, note Gilles Vervisch. “Il s’agit d’un support, finalement assez semblable à l’illustration d’un manuel de philo”, ajoute-t-il.
Mais le prof de philo ne se limite pas à Star Wars pour rendre son cours plus ludique. “Je parle aussi à mes élèves de la série Game of Thrones, pour aborder le bien et le mal, ou des films Matrix et Truman Show, qui posent les questions “de la réalité, des croyances, de la raison, du réel, de l’illusion et du bonheur”, explique-t-il.
Gilles Vervisch n’a pas vraiment de conseils à donner aux enseignants de philo souhaitant utiliser Star Wars : “l’avantage de cette discipline est que l’enseignement est très libre, du moment qu’il colle au programme. Aux professeurs d’apprendre la philo comme ils l’entendent. Et Star Wars peut être un outil très utile pour cela.”
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