Jonas Bosslet

Jonas Bosslet

Diffusée depuis la mi-novembre sur Arte, l’émission Streetphilosophy donne un petit coup de pied au conformisme des programmes télévisés qui abordent (plus ou moins directement) la philosophie. Résolument moderne, l’émission filmée, en noir et blanc, adopte une esthétique de clip. Son rythme est vif, son ton urbain et elle flirte parfois avec la gentille provocation. Ici la parole est, non seulement, donnée à des penseurs contemporains, mais aussi — et surtout — à des citoyens venus de tous horizons et ayant des modes de vie pour le moins hétéroclites : rappeur, artiste de rue, juge, universitaire, policier, sportif…

Alors, « branchée » c’est une évidence, mais le fond, sans être mandarinal, n’est pas pour autant superficiel. Les premières émissions ont ainsi abordé des questions aussi diverses que le projet existentialiste et la vision de l’absurde d’Albert Camus, l’ascèse, la morale et le droit à désobéir, etc.

Comme son nom le laisse supposer, le programme est tourné dans la rue, et plus précisément dans les rues de Berlin, dans ses bars, ses parcs, ses ateliers d’artistes… où déambule Jonas Bosslet, son jeune animateur. Un féru de philo ?

Réintégrer les philosophes dans un contexte moderne

« La philosophie n’est pas enseignée en tant que telle dans les lycées allemands, explique-t-il. Mais les enseignants y font régulièrement référence pendant les cours d’allemand et d’histoire, deux matières qui m’ont toujours beaucoup intéressé. Mais ma passion de toujours, c’est l’écriture cinématographique. Après avoir passé l’Abitur, l’équivalent de votre Bac, j’ai fait un stage dans une agence de publicité en tant qu’éditeur vidéo. J’avais à peine 20 ans, et c’est comme cela que ma vie de salarié a débuté. »

S’il n’est pas à l’origine de la création de Streetphilosophy — la paternité revient à Simon Hufeisen et Dominik Bretsch —, le style faussement désinvolte de Jonas Bosslet participe beaucoup au résultat final qui dépoussière la manière de traiter la philosophie à la télévision.

« Je ne pense pas que le premier objectif de l’émission soit de moderniser la philosophie en profondeur, nuance l’intéressé. Par contre, je crois qu’elle permet de réintégrer les philosophes, classiques ou non, dans un contexte moderne. Je ne veux pas juger la manière dont les autres formats contournent les difficultés liées à l’évocation de la philosophie à la télévision. Mais pour ce qui nous concerne, notre objectif a toujours été de produire à la fois quelque chose de juste, de sérieux, tout en rompant avec les mécanismes habituels des formats télévisés. »

Le fait est que cela fonctionne plutôt bien, même si le côté iconoclaste pourra faire grincer les dents des puristes.

« Je suis fondamentalement opposé à l’élitisme »

Jonas mit Nils Frahm

Jonas mit Nils Frahm

« Je crois qu’en Allemagne comme en France, la philosophie reste associée à un univers un peu élitiste, intellectuel, universitaire… Mais si l’émission a déjà un impact positif, c’est que nous brisons ces clichés. Nous égayons la philosophie en donnant la parole à des personnes très différentes que nous écoutons sans aucun préjugé. D’ailleurs, à titre personnel, je suis fondamentalement opposé à l’élitisme. »

Streetphilosophy détonne par la diversité des hommes et femmes qui y prennent la parole. L’idée centrale du programme reposant sur cette idée forte que chacun peut porter un regard à visée philosophique sur ses actions, ses engagements politiques ou associatifs, ses choix de vie professionnelle. Jonas Bosslet assure que convaincre Justine, une adepte du base jump, Kay-Thomas Dieckmann, juge dans un tribunal pour mineurs ou Cash Money Erka, catcheur… à parler philo n’est pas plus compliqué que de faire discourir  le philosophe allemand Robin Droemer sur la désobéissance civile. « Cela se passe très naturellement ! Notre challenge est de créer un échange qui soit à la fois « divertissant » pour le téléspectateur tout en proposant un vrai contenu. Pour y arriver, il n’y a pas de secret : nous devons d’abord comprendre comment raisonne chaque personne que nous interviewons. Ensuite, lorsqu’il s’agit d’hommes et de femmes qui ont rarement l’expérience de l’expression publique nous les rassurons, nous les mettons en confiance. Au contraire, lorsqu’il s’agit de gens très habitués des médias nous n’hésitons pas à les provoquer un peu ! C’est donc différent à chaque fois… mais ce n’est jamais difficile ».

Une quête de sens

Par son esthétique, son rythme, ses invités ou encore le langage employé, l’émission s’adresse visiblement à un public plutôt jeune et urbain. Dans cette période pour le moins troublée, ceux-ci seraient-ils plus que jamais en quête de sens ? Difficile pour l’animateur d’Arte de confirmer que cette recherche ait une dimension générationnelle marquée.

« Au cours de sa longue histoire, l’humanité a vraisemblablement toujours cherché un sens à son existence… et cela n’est pas près de changer ! J’ignore si les jeunes d’aujourd’hui sont plus qu’autrefois – ou de manière plus obstinée- en quête de sens. Peut-être… Car on ne peut pas encore demander à Google « quel est le sens de la vie » et recevoir la « réponse qui éclaire » !