Le rapport Regards sur l’éducation montre que ce sont les élèves français qui passent le plus de temps à apprendre les fondamentaux. Selon vous, cette quantité d’heures de cours est-elle gage de qualité ?
Vraisemblablement pas autant qu’elle ne devrait l’être. En général, on ne voit pas de corrélation évidente entre le temps passé à apprendre les fondamentaux et la réussite des systèmes d’éducation. En France, on a tendance à penser qu’on ne passe pas assez de temps sur le français ou la compréhension de l’écrit. Ce n’est pas du tout le cas en réalité. La publication montre que le temps passé à la compréhension de l’écrit dans l’enseignement primaire est le plus élevé de l’OCDE (37% du temps scolaire contre 22% en moyenne). C’est d’autant plus intéressant que la France fait partie des pays où les élèves reçoivent le plus d’heures de cours par an (864 heures dans l’enseignement primaire contre 8o4 heures en moyenne OCDE). En théorie ce volume horaire devrait permettre à la France de s’en sortir mieux dans les comparaisons internationales, et pourtant elle est juste au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE.
Pensez-vous qu’il soit nécessaire d’accentuer encore plus l’apprentissage de ces fondamentaux, comme le prônent régulièrement certains politiques ?
Non, je pense que cette statistique montre que l’on passe déjà beaucoup de temps sur les fondamentaux. Cela invite plutôt à réfléchir sur la manière dont on travaille avec les élèves, et la manière de gérer leurs difficultés. Cela veut dire qu’il faut réfléchir à comment mieux utiliser ce volume horaire, trouver des plages horaires où les élèves seront plus réceptifs pour travailler de façon plus personnalisée avec eux. Il faut également que les enseignants évoluent dans leur façon de travailler, pour aller vers quelque chose de plus individualisé qui permettra aux élèves en retard d’avoir davantage de chances de s’en sortir.
Les nouvelles technologies sont de plus en plus présentes à l’école. Pensez-vous qu’elles puissent offrir aux élèves une meilleure qualité d’enseignement des fondamentaux ?
Les nouvelles technologies ne sont pas un outil miracle. Ce que l’on a pu voir dans nos derniers rapports, c’est qu’elles peuvent améliorer les performances. Mais en général, les pays qui s’en sortent bien les ont intégrées de façon modérée dans les apprentissages. Ce n’est donc pas en utilisant des tablettes à tous les cours qu’on sera forcément meilleurs. En revanche, elles peuvent être un support supplémentaire qui va permettre de travailler différemment et de capter l’attention. Ce qui est intéressant, c’est que nous avons remarqué grâce aux tests Pisa qu’en France, les garçons réussissaient mieux en compréhension de l’écrit quand les tests étaient informatisés. Dans ce cas, le numérique pourrait aider à l’apprentissage de tout ce qui touche à l’écrit.
Malgré la réforme des rythmes scolaires, la France reste le pays de l’OCDE qui compte le moins de jours d’écoles. Ce temps de cours concentré est-il dommageable aux élèves français ?
Oui je pense que c’est dommageable. C’est d’abord dommage que l’on ait fait un débat aussi long sur les rythmes scolaires et que l’on continue encore d’en parler, en mettant en avant à quel point l’année scolaire est fatigante pour les élèves au primaire alors qu’elle ne l’est pas plus qu’ailleurs. On voit même que la France a le plus petit nombre de jours d’école, même après la réforme (162 jours par an contre 185 jours en moyenne OCDE). Ce qui est fatigant, ce sont les devoirs à la maison, l’accumulation des évaluations, les situations d’échec et de ne pas progresser au cours de l’année scolaire. La semaine de 4,5 jours était nécessaire pour au moins rapprocher la France de ses voisins. Maintenant il faut avoir une réflexion pour mieux utiliser ces nouveaux rythmes scolaires. Il faut travailler différemment, mettre en place des pratiques pédagogiques innovantes pendant ces 5 matinées d’école. Si on veut avoir une réflexion sur les rythmes scolaires, je crois qu’il ne faut pas revenir en arrière et au contraire aller plus loin et réfléchir à raccourcir les vacances scolaires, pour justement avoir les élèves plus longtemps scolarisés. Cela laissera aux enseignants plus de temps pour gérer leurs difficultés ou pour travailler de manière plus espacée sur l’année scolaire.
Le rapport montre une certaine frilosité des étudiants français pour le doctorat. Comment expliquez-vous cela ?
Cela peut être à la fois une frilosité ou une conséquence de la difficulté académique des programmes. Ou alors cela peut-être aussi un problème de débouchés, car quand on fait un doctorat, on peut souvent devenir enseignant chercheur et il y a peu de places, ce qui veut dire que l’on n’est pas garanti de réussite. A contrario les doctorats sont très attractifs pour les étudiants étrangers, ce qui met en avant la qualité de nos programmes. La France est également un pays où les frais d’inscription sont modérés, donc quand on a le choix entre aller au Royaume-Uni ou en France, les étudiants sont tentés d’aller en France car cela va coûter moins cher.
Le président Hollande s’était fixé l’objectif de 500 000 apprentis avant 2017. À la vue de ce rapport, l’apprentissage français se porte-t-il comme prévu ?
Si par apprenti on parle de jeunes qui produisent à la fois du travail à l’école et un apprentissage en entreprise, alors la France est toujours en retard par rapport à des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, ou la Suisse. Les filières professionnelles (CAP, BEP, BAC pro) ne permettent pas forcément de s’insérer aussi bien que l’on peut l’imaginer sur le marché du travail en France et n’offrent guère plus de possibilités de poursuivre des études supérieures. Il y a un véritable déficit aujourd’hui, il y a des réformes mises en place qui portent leurs fruits, comme sur le nombre de décrocheurs, mais il y a encore du travail à faire. Les élèves qui entrent dans ces filières ont souvent de grandes difficultés scolaires qui n’ont pas été gérées avant leur entrée, donc aujourd’hui il s’agit de donner plus de valeur à ces formations, car on voit que dans certains pays elles permettent à des jeunes de s’insérer très bien sur le marché du travail avec des bons niveaux de revenus.
Vous vous déclariez favorable à une revalorisation salariale des professeurs en zone sensible. Est-ce toujours votre avis ?
Oui, et dans Regards sur l’éducation on insiste sur le fait qu’il faut revaloriser les enseignants du primaire en priorité. Leur salaire moyen est 12% inférieur à la moyenne de l’OCDE alors que si on regarde au collège et au lycée, les salaires des enseignants ne sont inférieurs que de 2 % à cette même moyenne. Donc il faut mieux rémunérer les enseignants du primaire, puis réfléchir à valoriser également ceux qui vont travailler dans les établissements qui concentrent une grande difficulté scolaire. Il faut créer des incitations financières, améliorer l’environnement pédagogique dans ces établissements et permettre à tous ceux qui iront y travailler d’être mieux formés par un accès à une formation continue. On dit depuis longtemps que l’on peut mesurer la qualité d’un système d’éducation en fonction de la qualité de ses enseignants, et je crois qu’en France il faut continuer les réformes qui aident à avoir des enseignants mieux formés à faire face à des classes de plus en plus hétérogènes.
Pertinent