Jean-Paul Julliand, réalisateur de "Dis Maîtresse !"

Jean-Paul Julliand, réalisateur de « Dis Maîtresse »

En 2013, Jean-Paul Julliand, documentariste, ancien prof d’EPS, a décidé de suivre le parcours de sa fille, enseignante de maternelle en toute petite section, à Vénissieux, dans le quartier des Minguettes. Interview.

L’année dernière, vous avez diffusé “Lundi c’est violet”, documentaire tourné à l’école de Vénissieux. Un an plus tard, vous avez décidé d’en faire une “version cinéma”. Pourquoi ?

En 2013, j’ai entendu parler de la priorité donnée à la scolarisation des moins de 3 ans dans les quartiers populaires. Ma fille Géraldine enseigne justement chez les moins de 3 ans, et l’idée est venue d’en faire un film. D’abord pour la télé.

Lundi c’est violet” montrait l’école maternelle, mais avec une écriture très didactique. En montant “Dis Maîtresse !”, une “version cinéma”, à partir de 30h de rushs, j’ai essayé de donner du temps au temps, et d’aller vers plus d’émotion, en me mettant dans la tête de l’enseignant.

Devons-nous voir “Dis Maîtresse !” comme un film “politique ?

"Dis Maîtresse !", un documentaire de J-P Julliand.

« Dis Maîtresse ! », un documentaire de J-P Julliand.

J’aimerais que ce docu soit vu par tout le monde, pas juste les profs. Son but est de faire réfléchir les gens sur l’importance de la scolarisation des moins de 3 ans, en particulier dans les quartiers populaires.

“Dis Maîtresse” s’adresse aux enseignants, mais aussi aux parents et aux hommes politiques. C’est un film pour toucher les gens, pour faire bouger les choses.

En quoi la scolarisation des moins de 3 ans est-elle fondamentale, surtout aux lendemains des attentats du 13 novembre ?

Mon film a été conçu comme un plaidoyer pour la mixité. Depuis le 13 novembre, il est encore plus important de montrer le rôle que joue à ce niveau la scolarisation des enfants de moins de 3 ans des quartiers populaires.

"Dis Maîtresse !", un documentaire de J-P Julliand.

« Dis Maîtresse ! », un documentaire de J-P Julliand.

Les images des enfants toucheront, je l’espère, tout le monde – 12 jours après les attentats, mais aussi à un moment où l’extrême-droite monte. Je veux montrer, à travers ce film, le rôle de l’école républicaine, qui est inclusive et non excluante.

A l’école, les moins de 3 ans apprennent la langue française, découvrent le monde. Mais ils apprennent aussi, et surtout, à vivre ensemble. Et si l’on veut réellement changer les choses, cette scolarisation est le début de tout.

Et qu’en est-il des relations parents-enseignants ?

La scolarisation des moins de 3 ans permet de restaurer la confiance des familles vis-à-vis de l’école. Elle permet aux parents, pour reprendre une phrase de Géraldine, “de découvrir la confiance que les enfants nous accordent”. Si tout se passe bien durant l’année, les parents de milieux populaires finissent par se dire que l’école n’est pas un danger pour eux, qu’il ne s’agit pas d’un monde fermé et méprisant.

Vous montrez le quotidien d’une institutrice en toute petite section… Qu’avez-vous remarqué en filmant votre fille ?

C’est un métier très spécifique, dont la réalité est méconnue de tout le monde. Il est très fatiguant, à forte charge émotionnel, avec un fort engagement physique. Le quotidien se passe accroupi, à hauteur d’enfant, et l’engagement est aussi “maternel” (ou “paternel”) : il faut se préparer à recevoir quelques pleurs sur son pull over, et même à “cocooner”.

Sans une formation vraiment centrée sur cette tranche d’âge, il faut aussi se préparer à persévérer, à tenter des choses, à accepter quelques échecs. Comme le dit Géraldine dans le film, il y a “des moments où l’on croit que cela marche”, mais où ce n’est pas si simple. Les moins de 3 ans ont une particularité : à leur âge, ils ne mentent pas. Si l’initiative de leur enseignant ne fonctionne pas, cela se voit tout de suite.

D’après vous, la scolarisation des moins de 3 ans est loin d’être simple…

Il faut agir sur plusieurs niveaux. D’abord, il faut former spécifiquement les professeurs à l’enseignement auprès d’enfants de moins de 3 ans. C’est en train de se mettre en place. Mais des questions se posent : qui définira le contenu de ces formations ? Et quel sera ce contenu ?

"Dis Maîtresse !", un documentaire de J-P Julliand.

« Dis Maîtresse ! », un documentaire de J-P Julliand.

Ensuite, il faut aménager les effectifs. Les classes sont surchargées, surtout dans les quartiers populaires. Avec 29 élèves inscrits quand j’ai filmé mon docu, c’était de la folie.

Pour l’enseignant, il y a beaucoup trop de choses à gérer en même temps. L’année s’est bien terminée, mais à quel prix? J’ai constaté une grande fatigue physique et psychologique chez l’enseignante, ainsi que chez l’ATSEM (agent territorial spécialisé des écoles maternelles) qui l’aidait.

Quel est justement le rôle des ATSEM ?

L’ATSEM est un personnage stratégique, complémentaire. Elle s’occupe de la logistique “technique” (le matériel) et “humaine” (par exemple, les questions d’hygiène). Mais elle est aussi impliquée dans les tâches éducatives, en lien avec l’enseignante.

Il faut, à mon sens, faire des choix sur les ATSEM, au niveau du CNFPT : comment les forme-t-on, quel niveau de formation ? On voit très bien dans le film qu’une ATSEM est d’abord une éducatrice. Donc Bac + 2 minimum, avec un diplôme d’éducateur de jeunes enfants… Or on en est loin. Pour le moment, on devient ATSEM avec un CAP.

Comment avez-vous réussi à faire oublier votre caméra, afin de “filmer le réel” ?

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« Dis Maîtresse ! », un documentaire de J-P Julliand.

A leur âge, les enfants de moins de 3 ans ne font pas attention aux adultes présents dans la salle de classe. Les enseignants et les ATSEM, de leur côté, sont si débordés qu’ils finissent par nous oublier.

Le fait de filmer ma propre fille a aussi favorisé l’instauration d’un climat de confiance qui m’a permis d’avoir les images d’une situation vraie… Au point que je compte offrir mes 30h de rush à des chercheurs.

La scolarisation des moins de 3 ans est-elle un facteur de réussite ?

dis-maitresse-accueil-en-janvier-e1436821496875Je termine le documentaire en disant : “les graines d’une réussite scolaire et humaine sont semées”. Il faut continuer au-delà. Le relais doit être assuré derrière, car les graines s’arrosent.

La confiance entre les parents et l’école doit continuer. L’ensemble des profs qui vont intervenir par la suite doivent être suffisamment formés, au niveau qui est le leur.

La promesse de François Hollande de scolariser les enfants de moins de 3 ans sera-t-elle tenue, pour vous ?

La priorité au primaire semble s’être estompée jusqu’à récemment.  La scolarisation des moins de 3 ans a longtemps été une variable d’ajustement pour beaucoup de directeurs départementaux de l’éducation nationale, quand il fallait réduire le nombre de fonctionnaires.

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, mais face à la montée des effectifs, rien ne dit qu’elle ne redeviendra pas un jour une variable d’ajustement. Si mon film peut aider à ce que cette priorité soit maintenue, je suis preneur.

“Dis Maîtresse !”, sortie le 25 novembre