Votre regard sur l’enseignante que vous êtes dans Dis maîtresse…
J’ai surtout regardé les enfants. Et je me suis rendu compte que plein de choses m’échappaient – faire une bêtise, parler dans mon dos, me tripoter le tee-shirt pendant que je parle à un autre – alors que je pensais être vigilante. Cette année-là, j’ai eu 29 gamins. Individuellement, ils étaient extras, hyper dégourdis, souvent des fins de fratrie et j’ai pu leur faire réaliser des trucs incroyables. Mais l’idéal avec les tout-petits c’est 18 élèves, 22 maximum. J’en avais 29. Cette année m’a traumatisée.
Vos changements après le tournage du film…
La présence de mon père (Jean-Paul Julliand, le réalisateur, NDR) dans la classe m’a permis d’avoir un regard extérieur sur ma pratique. J’ai changé pas mal de choses, des petits riens, comme enlever des tables et des chaises pour privilégier l’espace au sol afin que les élèves puissent bouger, construire, démolir, jouer par terre, comme des enfants de deux ans. On ne m’avait jamais dit que je pouvais enlever des tables et des chaises ! Il y a un moment dans le film où je dis à un enfant que le camion ne doit pas être par terre mais sur la table. Aujourd’hui, je le laisserais faire. J’ai pris conscience que je devais parfois me poser, les solliciter moins et me mettre davantage en retrait lors de l’accueil pour regarder les enfants jouer et communiquer. L’autre instit’ qui avait des tout-petits dans l’école était dans la même galère que moi : la tête dans le guidon, à faire comme on pouvait.
Vos difficultés…
En classe, il faut parler correctement tout le temps, tout expliquer dix fois, porter, moucher, faire des lacets, passer la journée dans le bruit… Ce bruit, je le tolère sans difficulté à l’école mais je ne le supporte plus chez moi, le soir, et j’ai trois enfants. Physiquement et psychologiquement, ce don de soi a des limites… Je doute de pouvoir faire ça avec la même passion toute ma vie. Mon mari me comprend depuis que je l’ai emmené en sortie et qu’à 20 heures il était au lit. Mais, souvent, les gens de notre entourage ne comprennent pas notre quotidien. Ma grand-mère m’a demandé un jour comment je pouvais être crevée trois semaines seulement après avoir repris le boulot ! Ce film peut changer le regard des gens sur mon métier. En le voyant, certains m’ont dit avoir compris plein de choses et d’autres m’ont demandé comment je faisais.
Votre plus beau souvenir…
Une année, en petite section, j’avais un gamin très en difficulté. Il a réussi quelque chose – je ne sais plus quoi – et c’était une récompense. Avec l’ATSEM (dont le rôle est d’assister l’enseignante en maternelle, NDR) on s’est regardées et on a pleuré de joie !
Votre formation pour enseigner à des enfants de 2 ans…
Je n’ai pas été spécifiquement formée pour ça. J’ai pris une classe de tout-petits après avoir eu des moyens et des petits. J’ai d’abord essayé de baisser le niveau d’exigence d’un cran, mais je ne savais ni ce que ma hiérarchie attendait de moi, ni ce que je pouvais attendre des élèves. Il n’y avait rien dans les programmes, rien dans les textes. J’avais des exigences trop élevées pour des enfants de 2 ans. J’avais en tête qu’il fallait bosser, bosser… Je leur demandais parfois de rester assis sur un banc pendant une demie heure, parce que ça se faisait en maternelle ! A 2 ans, il faut qu’il joue ! Depuis deux ou trois ans des textes sont sortis et ont posé un cadre et des axes de travail pour les classes de tout-petits.
Vos rapports aux parents…
Avant d’être moi-même parent, je ne me rendais pas compte à quel point l’entrée à l’école de leur enfant de deux ans stresse les parents. Que ce que je dis de leur enfant touche à leurs entrailles et peut être mal vécu. Les parents attendent qu’on prenne leur enfant comme un individu. On ne peut pas leur dire : « il n’est pas tout seul, ils sont 30 ». Il faut les rassurer et tisser des liens de confiance. Quand un petit arrivait avec du chocolat autour de la bouche, quand il avait paumé son classeur, c’était de leur faute ! Je jugeais leur façon d’éduquer leur enfant. Depuis que je suis devenue maman, je suis beaucoup plus indulgente, moins pète-sec et je ne dis pas certaines choses devant tout le monde. En formation, on n’apprend pas à gérer les relations aux parents.
Votre avis sur la scolarisation précoce…
Aux Minguettes, la scolarisation des tout-petits est nécessaire. On a parfois trois quarts des enfants de la classe qui arrivent sans parler français. Leurs parents communiquent avec eux dans leur langue maternelle, comme je le ferais avec mes enfants si je partais m’installer à l’étranger. En classe, ces enfants baignent dans un groupe et entendent parler français. Ils deviendront rapidement bilingues. Mais pour scolariser à deux ans, il faut faire du cas par cas. Si un enfant a des troubles du sommeil, du comportement, une grande anxiété, s’il pleure chaque jour à l’école pendant trois semaines, c’est qu’il est trop tôt pour lui. Il vaut mieux être souple et le laisser revenir à l’école en janvier.
Votre rapport à l’éducation prioritaire…
Mon école est en REP+ et même si je ne connais pas totalement la réalité de la vie des gens du quartier, à travers l’école je l’entraperçois plus que quelqu’un qui ne va jamais aux Minguettes. Quand je dis où je travaille, on me rétorque parfois : « oh la la, ma pauvre ! » Mais c’est dans ces quartiers-là, avec cette population, ces familles et cette mixité que j’ai envie de bosser ! J’aime ce qu’on peut apporter à ces gamins.
Votre point de vue sur la polémique autour du droit des mères voilées à accompagner les sorties scolaires…
Cette polémique n’a pas eu lieu chez nous. Lors du visionnage du film, certaines personnes m’ont dit que c’était la première fois qu’elles voyaient autant de femmes voilées. Ca fait 13 ans que j’en vois tous les jours. Je suis habituée. La question n’est pas d’accueillir des petites filles voilées à l’école, mais d’être accompagnée par des mères voilées en sortie. Cela ne me dérange pas du tout qu’elles portent un voile. On parle de voile sur les cheveux, pas sur le visage, bien sûr ! Depuis que j’enseigne, j’ai eu connaissance d’un seul cas de mère portant un voile intégral qui a eu un rappel à la loi et un refus d’accéder à l’école. Elle avait tenté d’embringuer d’autres mères contre la directrice. Elle n’a pas du tout été suivie.
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