L'anticléricalisme féministe

L’anticléricalisme féministe/Couv

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis enseignante en Lettres/Histoire dans un lycée professionnel de l’Oise.

Comment est née l’idée de ce livre et comment vous êtes-vous documentée ?

Il s’agit au départ d’un travail universitaire, je disposais d’une importante quantité de documents issus de différents fonds d’archives. Yannick Ripa, ma directrice de recherche à Paris 8, m’a incitée à les utiliser pour écrire ce livre. Cette idée m’a toute suite enthousiasmée.

Qui sont les féministes anticléricales de votre livre, et représentent-elles un mouvement ?

Ce sont des femmes républicaines et laïques, inscrites dans le mouvement anticlérical de cette époque, mais qui se distinguent des anticléricaux-hommes par leur féminisme. Elles revendiquent l’égalité civile et politique avec les hommes au nom de l’universalisme. Si elles dénoncent les religions comme force hostile à la République, elles les accusent aussi d’être responsables de l’infériorisation des femmes et de son maintien dans la société. On ne peut pas réellement parler de mouvement, mais d’un nouveau champ de réflexion des idées politiques.

Comment sont-elles perçues sous la IIIe République –y compris par les anticléricaux masculins?

Dans cette société où les femmes sont exclues de l’espace public et de la scène politique, tenir un discours féministe anticlérical, c’est bouleverser toutes les idées reçues dans ce siècle où les femmes sont considérées comme religieuses par « nature » et où le phénomène de déchristianisation concerne principalement les hommes.

Elles partagent les mêmes valeurs que les anticléricaux dans leur lutte pour l’instauration de la République contre les forces monarchistes-catholiques. Mais les alliés attendus refusent obstinément d’intégrer les femmes dans la République. Leur argument ? Les femmes sont cléricales et mettraient ainsi la République en péril. Elles ne s’y trompent pas : cet argument camoufle la misogynie des anticléricaux qui s’avère plus forte que leur anticléricalisme.

Elles se retrouvent donc à lutter contre l’Eglise en tant que force hostile à la République, et contre l’Eglise et les anticléricaux en tant que forces hostiles à l’émancipation des femmes.

En leur temps, quelles ont été leurs grandes actions et qu’ont-elles obtenu ?

Par-delà les manifestations suffragistes, leurs actions sont surtout des coups d’éclats isolés. Et si de rares lois améliorent les conditions de vie des femmes, la revendication principale pour ces féministes radicales reste le droit de vote.

La loi de 1905 ayant été votée, quel était leur lien à l’époque avec la laïcité ?

Dès l’instauration de la IIIe République, les anticléricales revendiquent la laïcité avec certains anticléricaux. Mais leurs conceptions de la République laïque divergent. Car enfin, comment penser la République laïque sans les femmes ? Elle qui par définition refuse à tout groupe quel qu’il soit de s’approprier la chose publique, comment légitimer le pouvoir d’un groupe – les hommes, sur un autre – les femmes ? Elles sont laïques parce qu’elles savent que l’émancipation des femmes ne peut se réaliser que sous une République laïque. Et pourtant avec le vote de la loi de 1905, la France devient une République laïque … sans les femmes.

Quel est leur héritage aujourd’hui ?

Si la lutte de ces femmes a contribué à la laïcisation de nos sociétés, rien n’est acquis. Réhabilitons le terme anticléricalisme ! Ce mot a disparu au cours du XXe siècle car les religions ont fait profil bas, mais les laisser aujourd’hui réinvestir le champ public, c’est inévitablement faire le choix d’une politique de régression pour les femmes. La tentative de la droite catholique espagnole de restreindre le droit à l’avortement en est un exemple. Empêcher les religions de réinvestir le champ public n’est ni de l’islamophobie, ni de la christianophobie, ni du racisme : c’est de l’anticléricalisme.

Cela permettrait de démasquer l’extrême droite et une partie de la droite qui, sous couvert de laïcité, associe religion et appartenance ethnique ; et libérerait une partie de la gauche de la crainte de l’accusation de racisme.

Contrairement à l’idée d’intolérance que certains aimeraient lui coller, la laïcité garantit la liberté de conscience pour tous – et donc pour toutes. Elle n’a pas à être« positive » ou « ouverte » comme le dit Sarkozy. C’est un principe qui se suffit en soi. La laïcité est le but, et l’anticléricalisme le moyen, alors revenons à la défense historique de la laïcité, c’est-à-dire l’anticléricalisme.

Vous êtes la lauréate 2015 du Prix de l’Initiative laïque : qu’est-ce que ce prix représente pour vous ?

Je suis très honorée d’avoir reçu ce prix, et particulièrement dans le contexte actuel. Je finalisais ce livre quand ont eu lieu les exécutions à Charlie Hebdo. Je me suis retrouvée, comme beaucoup, dans un état de sidération, de dégoût, de colère, de profonde tristesse. Mais cela a aussi renforcé ma conviction de lutter – à mon niveau, et dans mon domaine – pour l’affirmation et la défense de la laïcité. Je vois dans ce prix la reconnaissance de mon travail et de sa pertinence et cela m’encourage à poursuivre mes recherches.