Erwan Le Nader, président de l'Association des Professeurs de Sciences Economiques et Sociales

Erwan Le Nader, président de l’Association des Professeurs de Sciences Economiques et Sociales

L’année 2016 marquera les 50 ans des SES au lycée. Quels sont les projets de l’APSES pour fêter l’événement ?

Après une année d’expérimentation en 1965-1966, les sciences économiques et sociales ont en effet pris pleinement place au lycée lors de la réforme Fouchet de 1966-1967. Le ministre de l’Education nationale de l’époque, sous la présidence du Général de Gaulle, entendait moderniser les contenus d’enseignement au lycée via une « nouvelle forme de culture » permettant l’étude de l’homme et des sociétés humaines. En associant économie, sociologie et histoire, l’objectif était parallèlement d’adapter la formation des lycéens aux mutations rapides de l’environnement économique et social dans le contexte de forte croissance des 30 glorieuses.

Depuis sa création, la série B, devenue ES, a connu un succès croissant jusqu’à concerner aujourd’hui 23% des lycéens généraux et technologiques, ce qui en fait la deuxième série de baccalauréat après la série S.

L’APSES entend bien célébrer ce cinquantenaire comme il se doit. Nous étudions actuellement la possibilité d’un dispositif transmedia, avec un site internet dédié, relié aux réseaux sociaux, regroupant des productions variées (articles, vidéos, dessins, photos, etc.). L’année scolaire 2015-2016 serait scandée par une dizaine d’événements, comme des participations à des conférences, à des émissions radios ou à des publications presse. L’idée est avant tout de donner une dimension grand public et participative à cet événement. Après tout, les élèves et anciens élèves qui ont connu l’enseignement des SES se comptent maintenant en millions.

91,2% des candidats en série économique et sociale (ES) ont décroché leur bac en 2015. Que pensez-vous de ce résultat ?

© Studio Mike

© Studio Mike

Lorsque l’on est enseignant, on ne peut que se féliciter de la réussite de ses élèves au baccalauréat. En SES particulièrement cette année, les notes des candidats se sont révélées assez satisfaisantes. Pour autant, nous venons de publier pour la deuxième année consécutive une enquête réalisée sur le contenu détaillé de plus de 400 copies de bac qui ne peut susciter que notre insatisfaction dès lors que l’on note encore beaucoup de fragilités en termes de maîtrise de savoirs ou de savoir-faire essentiels. A notre sens, les programmes actuels – encyclopédiques et avec une universitarisation des contenus parfois malvenue – révèlent là leurs limites. Nous demandons à ce que le travail de leur réécriture soit entamé sans tarder par le Conseil supérieur des programmes.

Les élèves sont-ils toujours intéressés par les SES ?

Susciter l’intérêt des élèves est toujours un défi. Mais ce défi est plus simple à relever dès lors que nous enseignons une discipline qui aborde de grands problèmes économiques et sociaux qui entrent en résonance avec les préoccupations des élèves. Les élèves sont curieux de comprendre les questions relatives à la mondialisation, à l’emploi, aux inégalités filles-garçons, etc. Lors de l’enquête Meirieu de 1998, dont les résultats ont été analysés et publiés en 2005 par Roger Establet, les SES ressortaient parmi les différentes disciplines du lycée comme l’enseignement qui avait le plus d’attractivité (mesurée par la différence entre le nombre d’appréciations positives et négatives qu’ils portaient sur la discipline) et le meilleur équilibre (les lycéens jugeant le contenu de l’enseignement des SES aussi important pour leur vie personnelle que leur vie professionnelle). Même si nous ne disposons pas d’enquête plus actuelle à ce sujet, nous avons le sentiment que ces résultats sont toujours valables aujourd’hui. C’est d’ailleurs probablement ce qui explique que l’enseignement d’exploration de SES en seconde, bien qu’optionnel, soit choisi par près de 85% des élèves.

Dans un communiqué, publié en juin dernier, vous demandez que les SES soient étudiées, de manière optionnelle, par les élèves issus des séries scientifiques et littéraires. En quoi cette matière peut-elle leur être bénéfique ?

logo HDAujourd’hui, dans le  cycle terminal, l’enseignement des SES est réservé aux seuls élèves de la série ES. Pourtant, il est évident que notre discipline apporte une contribution essentielle à la citoyenneté des élèves, en leur permettant de mieux comprendre, grâce aux sciences sociales, de nombreux grands enjeux contemporains sur lesquels ils seront amenés à se prononcer en tant qu’électeurs dès la fin de leurs études secondaires. Pensons que les élèves de première d’aujourd’hui seront appelés aux urnes pour les élections présidentielles de 2017. Parce qu’il donne des armes pour se situer dans la complexité du monde actuel, l’enseignement des SES doit être développé. C’est vrai pour les élèves des séries S et L, mais, plus généralement, c’est également vrai des élèves de seconde, qui ne bénéficient que d’un enseignement optionnel avec un volume horaire très réduit (90 minutes par semaine). Il faut être ambitieux et généraliser l’enseignement des SES en seconde dans des conditions qui permettent une réelle appropriation de la culture économique et sociale indispensable à tout citoyen aujourd’hui.

L’enseignement moral et civique est l’une des grandes nouveautés de cette rentrée 2015. Comment percevez-vous cette discipline ?

Nous avons accueilli positivement cet enseignement, qui insiste notamment sur le développement de l’esprit critique, le rôle des débats argumentés et l’intérêt des dossiers documentaires dans l’acte pédagogique. Autant de principes dont nous nous félicitons car ils sont au cœur de la pédagogie des SES défendue par l’APSES.

Bien sûr, cet enseignement doit éviter le piège d’un catéchisme républicain. Pour devenir des citoyens actifs, les élèves doivent avoir accès aux fondements des différentes morales et comprendre que les tensions entre celles-ci sont constitutives du débat démocratique. En cela, il ne sera pas possible de remettre au premier plan le rôle de l’école dans la formation de la citoyenneté des élèves en se limitant à cet enseignement moral et civique. C’est le système scolaire dans son ensemble qui doit être réinterrogé à la fois dans son fonctionnement quotidien (renforcer la démocratie lycéenne, privilégier l’inclusion à l’exclusion, la coopération à la compétition) et dans le contenu et les pratiques pédagogiques de ses disciplines scolaires. A ce sujet, nous sommes persuadés que les sciences économiques et sociales peuvent jouer un rôle majeur en la matière, ne serait-ce que parce qu’elles interrogent les fondements des liens économiques, culturels et politiques des sociétés passées et actuelles.

Que pensez-vous de la formation continue des professeurs de sciences économiques et sociales ?

Dans une lettre adressée à la ministre en juin dernier, nous avons exprimé nos plus vives inquiétudes à ce sujet. Les enseignants qui souhaitent par exemple préparer l’agrégation ont de plus en plus de mal à trouver une formation au sein de leur académie, ou doivent débourser des sommes rédhibitoires pour suivre les préparations du CNED.  Ajoutons à cela que l’offre de formations permettant l’actualisation des connaissances en SES se réduit comme peau de chagrin, et nous obtenons une situation particulièrement dommageable.  Le suivi de formations est en effet indispensable pour que les enseignants puissent régulièrement enrichir leurs connaissances scientifiques et entretenir une démarche réflexive quant aux enjeux épistémologiques, didactiques et pédagogiques de leurs cours.

L’APSES organise chaque année des stages de formation, au niveau national ou régional, qui connaissent un grand succès. Mais nous n’avons pas vocation à nous substituer à l’institution sur ce point. Le ministère et les académies ne peuvent laisser perdurer une telle situation. Les moyens existants doivent être à la fois significativement augmentés mais également mieux répartis. On se demande par exemple pourquoi le plan national de formation en SES inclut chaque année les Entretiens-Enseignants-Entreprises, co-organisés entre le ministère et un lobby patronal, l’Institut de l’entreprise. Il y a là une curieuse utilisation des deniers publics, étrangère au principe de neutralité qui devrait prévaloir. Nous avons d’ailleurs interpellé récemment le ministère à ce sujet.