Electre_978-2-8041-9058-3_9782804190583Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un livre sur l’humiliation en milieu scolaire ?

Parce que c’est là une thématique éminemment sensible, dont on parle peu alors même que son importance est considérablement prégnante.
Parce que les personnes qui la vivent n’ont le plus souvent pas le langage, pas les mots pour la nommer et la refléter.
Enfin, parce que mes nombreuses conférences en la matière m’ont démontré la nécessité d’une réflexion collective à ce propos.

Dans votre ouvrage, vous parlez d’humiliation volontaire et involontaire. Pouvez-vous expliquer leurs différences ?

L’humiliation volontaire est consciente. L’humiliant agit en connaissance de cause, il humilie pour :

-exercer un contrôle social sur un groupe-classe ou un élève.
-transcender la peur du contact et du lien aux autres.
-éprouver la jouissance liée à la domination sur un ou plusieurs autres.
-pimenter son quotidien estimé trop fade.
L’humiliation volontaire échappe à la conscience du pédagogue : ainsi un élève peut se sentir humilié sans l’avoir jamais été !

Quant à l’humiliation involontaire, les supports les plus fréquents sont les suivants :

-l’humour, quand il est très poussé.
-l’enthousiasme du pédagogue, quand il est débordant.
-le défaut de gratification.
-le fait de ne pas voir les efforts fournis.
-le sentiment d’inutilité vécu par le pédagogue, ou de se sentir nullement à sa bonne place.

L’humiliation relève d’un processus précis, dont on peut suivre les étapes. La résultante pour l’apprenant s’inscrit dans un lourd sentiment de honte. Elle peut être individuelle mais aussi collective et venir, de fait, stigmatiser un groupe tout entier, le soumettant à une chape de silence.

Quelles sont les conséquences d’un élève humilié ?

© Brian Jackson

© Brian Jackson

Un élève humilié vit cette expérience au long cours. La mémoire de l’humiliation est extraordinairement longue.

Trois strates sont affectées :

– la dimension somatique : la honte qui résulte de l’humiliation est d’abord une expérience corporelle, qui se lit et se voit. Un élève humilié rétrécit sa vitalité, et peut alors jusqu’à développer des troubles somatiques.

– la dimension cognitive : l’humiliation affecte directement les compétences d’apprentissages. L’apprenant incapacite sa pensée, jusqu’au phénomène de la régression.

– la dimension de l’estime de soi : l’humiliation met à terre l’estime que l’on peut se porter. Le sentiment d’indignité surgit, souvent brutalement. Ce ne sont plus alors les compétences qui sont disqualifiées, mais l’essence même de l’élève, sa personnalité toute entière.

Pour vous, quelles seraient les solutions pour désamorcer ce processus d’humiliation dans la pratique pédagogique ?

Penser que l’humiliation peut être une expérience heureuse et profitable au développement est une erreur fondamentale. Imaginer que les seuls encouragements à se défendre suffiront est une méconnaissance grave.

Un élève humilié a besoin d’apprendre à parer l’estocade humiliante, apprendre à se défendre. Certains enseignants -qui ne sont pas les plus nombreux- possèdent les outils pour rétorquer, répliquer ou adresser une répartie. Ceux-là sont utiles, au même titre que ces élèves qui ne subiront jamais les flèches humiliantes parce qu’ils ont développé des compétences singulières pour se protéger. Nous trouvons chez ces pédagogues « rusés » ou chez ces élèves « malicieux » de bonnes réponses pour réagir : ce sont là les ressources à utiliser, présentes dans tous les établissements.

L’enseignant sera bien inspiré quand il invite ses élèves en début d’année à lui faire part des faits et gestes qu’il a commis et qui ont pu impacter négativement un enfant ou adolescent : aucun adulte ne peut tout voir, tout mesurer, tout anticiper… seule la coopération franche et authentique avec un groupe-classe permet de voir ce qui n’apparaît pas et d’entendre ce qui n’est pas dit !
Ainsi, aucun établissement scolaire, quel qu’il soit, n’échappe à une telle réalité. On ne peut éradiquer de fait l’humiliation mais plus sûrement apprendre aux humiliés à se défendre, sans jamais oublier que le silence est toujours au bénéfice du « bourreau » !