Sandrine Kott

Sandrine Kott

Tous nos lecteurs ne vous connaissent pas. Pouvez-vous vous présenter ?

Depuis 11 ans, je suis professeure d’histoire contemporaine de l’Europe à l’université de Genève et spécialiste de l’histoire de l’Allemagne contemporaine. Je suis également chercheur associé au Centre Marc Bloch de recherches en sciences sociales de Berlin.

Enfin, j’ai enseigné en France en lycée pendant deux ans et en collège pendant un an, avant d’occuper un poste de maitre de conférences à l’université de Poitiers pendant 12 ans. J’ai conservé la totalité de mon service à l’université et je vais donc continuer à enseigner, à suivre mes projets de recherche et à encadrer les thèses. Je n’aurais d’ailleurs jamais imaginé endosser ce rôle de déléguée ministérielle si l’on n’était venu me chercher… avec insistance.

En quoi consiste votre mission ?

Pour être brève, elle comporte trois volets. Le premier consiste à suivre et à encadrer la carte des langues que sont en train d’élaborer les recteurs. Celle-ci permettra d’assurer la continuité de l’apprentissage de l’allemand entre le primaire et le secondaire, puisqu’il y aura obligation d’établir des classes bilangues de continuité là où elles manqueraient.

Le second volet vise à conforter l’apprentissage de l’allemand en primaire là où il existe et à le développer là où il fait défaut. Le dernier volet consiste à assurer la promotion de l’allemand comme LV2.

Quelles stratégies allez-vous mettre en place et avec quels moyens ?

La question est prématurée ! Je suis dans la phase exploratoire qui doit me permettre d’envisager des solutions concrètes pour la fin septembre au plus tôt. Dans cette optique, j’ai déjà rencontré la Direction générale de l’enseignement scolaire ainsi que la Délégation aux relations européennes et internationales et à la coopération. Je me suis aussi rendue dans l’académie de Nancy- Metz qui a, plus qu’ailleurs, des échanges avec nos voisins, surtout dans les départements frontaliers. Toutefois, dans les autres ou dans l’académie voisine de Reims l’attrait de l’allemand a beaucoup régressé. J’ai également eu des échanges avec nos partenaires allemands notamment du Goethe Institut, de l’Office franco-allemand pour la jeunesse, du ministère des Affaires étrangères et des services du Plénipotentiaire allemand, chargé des relations culturelles franco-allemandes.

Faire de l’allemand une langue choisie comme LV1 est-il l’une des clefs principales pour redonner du souffle à cette matière ?

C’est un chantier important pour lequel nous avons des cartes à jouer, en particulier grâce aux classes bilangues de continuité. Mais vu le poids de l’anglais aujourd’hui, il me semble raisonnable de renforcer l’attrait de l’allemand en tant que LV2. Il y a pour cela un certain nombre de pistes à l’étude, parmi lesquelles l’idée de faire de l’allemand une langue qui soit pertinente pour les jeunes des cursus professionnels ou techniques. On pourrait imaginer des liens avec le marché du travail allemand, des formations en alternance réalisées en Allemagne, des partenariats avec des entreprises allemandes, etc. Ce n’est qu’une piste, mais nos partenaires allemands se sont montrés très attachés à ces idées. Enfin, le développement des sections Abibac et des sections européennes sont d’autres opportunités de faire de l’allemand une langue importante dans le cadre d’une orientation professionnelle réfléchie.

Votre nomination a suscité sur les réseaux sociaux au mieux du scepticisme au pire de la défiance. Comment y réagissez-vous ?

Je veux assurer aux enseignants que je comprends parfaitement leurs interrogations. Je n’ignore pas qu’on a pu penser que ma nomination n’était qu’un moyen de calmer les inquiétudes des professeurs comme celles de nos partenaires allemands qui regardent ce qui se passe chez nous avec un peu de tension. Je tiens à dire que ce n’est pas dans mon tempérament d’être une « personne alibi » ! J’ai eu beaucoup d’échanges avec des professeurs soit directement, soit par email. Je sais qu’un grand nombre sont des situations pédagogiques extrêmement difficiles et je mesure la nécessité de les soutenir. La question des enseignants est importante, mais je ne voudrais pas qu’elle occulte une autre dimension de ma mission : celles des relations franco-allemandes, un aspect qui est loin d’être négligeable dans le contexte actuel. Ma fonction n’est pas de justifier la réforme, je n’en dirai donc ni bien ni mal, mais je ne souscris pas à l’idée que celle-ci signe nécessairement la diminution du nombre d’apprenants.

Combien de jeunes apprennent aujourd’hui l’allemand ?

En 2014, il y avait 178 081 apprenants d’allemand en primaire. Dans le second degré – LV1 et LV2 et y compris le privé sous contrat – on dénombrait 834 993 apprenants d’allemand, contre 1 312 119 en 1995.

Les classes bilangues ont permis d’infléchir cette courbe plongeante du nombre d’élèves qui étudient l’allemand. Or celles-ci sont, en partie, remises en cause par la réforme. N’y voyez-vous pas une contradiction ?

S’il est vrai que l’érosion a été stoppée récemment par les classes bilangues, j’estime que cette focalisation sur ces dernières est excessive. Il aurait été illusoire de compter uniquement sur ce dispositif, car il se développe de plus en plus de classes bilangues avec d’autres langues que l’allemand… ce qui est tout à fait logique et légitime. Donc, même sans la réforme, il aurait fallu faire quelque chose. La question a, il est vrai, ravivé les inquiétudes… ce qui a créé, en quelque sorte, un électrochoc salutaire ! Salutaire puisqu’il nous oblige à repenser collectivement la manière dont nous pouvons rendre l’apprentissage de l’allemand plus attractif et comment nous pouvons modifier l’image de cette langue chez les élèves comme chez leurs parents. Bien entendu tout cela ne sera pas possible sans une volonté politique claire.

 

Olivier Van Caemerbèke