Nathalie Bedoin est enseignant-chercheur, Laboratoire Dynamique Du Langage, et travaille sur un projet d’aide à la remédiation dans la dyslexie, qui a été présenté lors du Salon Innovatives SHS du CNRS, les 16 et 17 juin derniers à Paris.
Pouvez-vous nous présenter votre laboratoire ?
Le Laboratoire Dynamique Du Langage est une UMR CNRS-Université Lyon 2 qui explore l’articulation entre la diversité des milliers de langues parlées dans le monde et l’universalité de la capacité langagière humaine. Les recherches menées sont au cœur d’enjeux de société majeurs, tels que la compréhension du développement linguistique de l’enfant et des pathologies du langage, la documentation des langues et de leurs changements, la compréhension des origines du langage. Le Laboratoire traite des questions de recherche fondamentale en combinant les apports de la linguistique, des neurosciences, de la neuropsychologie, et des sciences de l’ingénieur, souvent en lien avec des services hospitaliers et le monde scolaire. Il conduit aussi des recherches de terrains sur tous les continents, notamment pour décrire et comprendre le fonctionnement de langues en danger, sources d’informations sur l’origine de l’homme et les flux migratoires qui ont abouti à la répartition actuelle des hommes sur la planète.
Qu’est-ce que la dyslexie, touche-t-elle beaucoup de personnes, et pourquoi avoir choisi de travailler spécifiquement sur ce trouble ?
La dyslexie développementale est une pathologie de l’apprentissage du traitement de l’écrit qui survient en dehors d’un retard intellectuel, d’un trouble neurologique, d’une scolarisation inadéquate ou d’un manque de motivation. Selon le type de dyslexie, les difficultés sont de nature variable : une grande lenteur pour identifier les mots écrits, l’incapacité d’apprendre les relations entre les lettres et les sons de la langue débouchant sur des erreurs du type « vapeur » lu comme « fabeur », des inversions (« partie » lu « pirate ») ou des omissions de lettres dans le mot, des migrations de lettres entre les mots, l’impossibilité d’identifier et de mémoriser l’orthographe de mots irréguliers comme « monsieur », de nombreuses fautes d’orthographe. Il s’agit d’un trouble durable, mais pour lequel une prise en charge en orthophonie est possible, de même que des aménagements dans la présentation des documents écrits. Selon les enquêtes, 5 à 10% des enfants seraient concernés. Longtemps considérée comme une pathologie ayant une cause unique (un traitement imprécis des sons du langage entravant l’apprentissage de correspondances claires entre les lettres et les phonèmes), l’existence de diverses formes de dyslexies développementales est aujourd’hui reconnue : la dyslexie phonologique, de surface, ou mixte. Elles résultent de déficits cognitifs souvent difficiles à déceler dans la vie quotidienne, dans le domaine des sons de la langue, mais aussi de l’attention. Par exemple, la dyslexie de surface se caractérise par une difficulté à mémoriser la forme orthographique précise des mots et à les lire de façon automatique, ce qui conduit à un déficit de lecture des mots irréguliers (qui ne se prononcent pas comme ils s’écrivent, par exemple «femme »), et à une lenteur anormale pour lire les mots fréquents réguliers, comme « madame ». De telles difficultés ne s’expliquent pas par des difficultés phonologiques, mais par des déficits attentionnels.
Quel est le caractère innovant de votre projet, et comment concrètement peut-il aider les élèves et personnes souffrant de dyslexie ?
Notre projet propose un test (SIGL) et un ensemble d’exercices informatisés (SWITCHIPIDO) permettant de diagnostiquer et de remédier à un déficit attentionnel fréquent dans la dyslexie de surface : une difficulté à inhiber l’information sur les détails visuels et un traitement trop peu spontané de l’organisation d’une scène visuelle… par exemple l’organisation des lettres d’un mot. Ces déficits peuvent expliquer pourquoi les enfants ne traitent pas correctement la position relative des lettres : ils sont trop attirés par l’identité d’une lettre du mot, au détriment de la prise en compte de la structure du mot. Il existe peu d’outils pour appréhender ce type de dyslexie, mais ces logiciels ont été intégrés avec succès dans des prises en charge orthophoniques et ont amélioré ces capacités attentionnelles et la lecture. Il s’agit de jeux informatisés amenant l’enfant à s’intéresser aux relations entre les éléments d’un objet pour l’identifier. Ces exercices ne portent pas sur des lettres mais, par exemple, sur des dessins hiérarchisés. Devant un grand cœur constitué de petites étoiles, il faut par exemple se concentrer sur les relations entre les petites formes (étoiles) pour répondre à une question sur l’identité de la grande forme (cœur). Ces activités favorisent un traitement spontané de la structure visuelle, compétence importante pour prendre en compte la position des lettres d’un mot. L’efficacité de l’entraînement se manifeste par des progrès en lecture, surtout pour les mots irréguliers très fréquents en français, et par une stratégie de lecture moins morcelée.
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