© Petro Feketa - Fotolia.com

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Le projet de nouveau programme d’histoire-géographie a suscité bien des polémiques depuis sa publication mi-avril, notamment sur la possibilité laissée aux enseignants de traiter ou non certains thèmes facultatifs. Dans un entretien publié aujourd’hui dans Le Monde, le géographe Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes (CSP), admet que « le projet est mal fagoté » mais déplore l’« emballement médiatique lié à la surréaction de certains intellectuels qui n’avaient pas lu le projet ».

Pas de recul sur la liberté laissée aux enseignants

Si les programmes présentés en avril ont déclenché de virulentes critiques, Michel Lussault rappelle qu’ils ne sont qu’un projet, actuellement soumis à la consultation des enseignants. Le géographe se dit d’ailleurs ouvert à toutes les remarques. « Je peux travailler avec des gens qui m’ont traité de tous les noms. La ministre de l’éducation va rencontrer des historiens. Nous allons organiser un forum en Sorbonne… Nous écouterons tout ce qui se dira, pour présenter la mouture finale en septembre », explique-t-il. Avec, toutefois, deux limites à l’évolution du projet. « Pas de recul sur la liberté pédagogique laissée aux enseignants, grâce aux thématiques au choix. Pas, non plus, d’évolution de l’histoire vers un ‘roman national‘, qui serait un dévoiement de ce en quoi nous croyons », promet le président du CSP.

Le projet du Conseil supérieur des programmes pour l’histoire-géographie prévoit en effet des thèmes obligatoires, d’autres facultatifs. Cette possibilité laissée aux profs de favoriser l’enseignement de certains sujets avait inquiété des historiens. Ils avaient jugé que le projet laissait « trop de liberté aux enseignants, leur permettant de faire l’impasse sur la période des Lumières ou sur l’Empire byzantin”. Michel Lussault souligne toutefois que « ‘La Révolution française et l’Empire’ est un thème obligatoire, et l’étudier cela revient à étudier les Lumières ».

La chrétienté « pas facultative »

Le président du CSP souhaite également désamorcer la polémique concernant l’enseignement laïque des faits religieux. « L’enseignement de l’islam est obligatoire, en effet. Mais c’est déjà le cas aujourd’hui ! Certains prétendent que la chrétienté, elle, ne sera plus forcément enseignée. Par incompréhension ? Par malhonnêteté ? Peut-être me suis-je mal expliqué. En tout cas, la chrétienté n’est pas facultative, déclare-t-il. Je prends un exemple. ‘Société, Eglise et pouvoir politique dans l’Occident chrétien du XIe siècle au XVe siècle’ est un des thèmes à traiter en 5e. Un seul sous-thème est obligatoire : la monarchie française. Mais vous conviendrez qu’on ne peut étudier ce sujet sans aborder la chrétienté ».

Najat Vallaud-Belkacem avait elle aussi tenu à clarifier ce point en avril dernier. L’enseignement laïque des faits religieux « sera renforcé dans les nouveaux programmes d’histoire », avait assuré la ministre de l’Education nationale. Par exemple, « pour l’année de 6e, le thème obligatoire consacré à ‘L’Empire romain dans le monde antique’ prévoit l’étude des débuts du christianisme », avait-elle expliqué, rappelant aussi que « l’étude de l’islam, de l’esclavage, des génocides, de la colonisation et de la décolonisation sont au programme d’histoire au collège aujourd’hui et le resteront demain ».

Le CSP ne veut pas faire de l’Histoire « un roman national »

Autre accusation des détracteurs du projet, la vision « culpabilisante » de l’Histoire de France donnée par ces nouveaux programmes d’histoire. Pour Michel Lussault, « il y a quelque chose de dérangeant dans l’idée, récurrente, de vouloir faire de l’histoire un ‘roman national’. Car cela renvoie à une conception de l’histoire qui ne serait plus un outil de lucidité ».

Bruno Benoit, président de l’Association des professeurs d’Histoire-Géographie (APHG), avait affirmé début mai que les enseignants avaient « toujours abordé les heures sombres de l’Histoire de France, notamment la colonisation ou la traite négrière. Il faut l’assumer pour avancer. Ce qui est gênant, c’est de valoriser ces pages noires en obligeant les collègues à les traiter et, dans le même temps, reléguer au rang d’option des sujets fondamentaux comme le siècle des Lumières, essentiel pour comprendre la Révolution Française, ou encore l’Histoire de la Chrétienté… Mieux vaudrait donner un volume horaire annuel global et des thèmes à traiter aux enseignants, charge à eux ensuite d’adapter leur cours en fonction de leur public », avait-il préconisé.

La consultation des enseignants sur les programmes scolaires s’achèvera le 12 juin. Najat Vallaud-Belkacem saisira ensuite le Conseil supérieur des programmes « pour qu’il fasse évoluer ses projets initiaux, tant sur la forme pour veiller à leur clarté et à leur lisibilité, que sur le fond là où c’est nécessaire », avait-elle expliqué.