Lavage de mains

Lavage de mains © Gina Sanders/Fotolia.com

Propos recueillis auprès de Margot Morgiève CERMES3 – équipe CESAMES, et Xavier Briffault, chargé de Recherche HDR au CNRS membres de l’équipe Altotoc

Le projet Altotoc sera exposé lors du salon Innovatives SHS du CNRS, les 16 et 17 juins prochains à Paris Porte de la Villette. Altotoc réunit une équipe pluri-professionnelle, des personnes présentant des TOC (troubles obsessionnels compulsifs) et leurs proches pour concevoir ensemble et co-construire des solutions technologiques innovantes (applications smartphones, objets connectés, site web participatif) pour diminuer le retentissement de leurs troubles au quotidien. L’équipe pluri-professionnelle est composée des laboratoires suivants :

-le Cermes3, Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société, laboratoire multidisciplinaire mixte du CNRS (UMR 8211), de l’Inserm (U 988) de l’EHESS et de l’Université Paris Descartes, rattaché à deux Labex (Sites et Tepsis). Consacré à l’analyse sociale des transformations contemporaines des mondes des sciences, de la médecine et de la santé ainsi que leurs rapports à la société, il est l’un des centres de recherche les plus importants dans son champ en Europe. Trois problématiques transversales structurent le projet scientifique du centre : la place des savoirs, des outils et les questions de l’innovation, les politiques de santé et les dispositifs d’intervention et de prise en charge, la mondialisation de la santé.

-l’ICM, Institut du Cerveau et de la Moelle épinière, centre de recherche translationnelle d’envergure internationale dédié à l’étude multidisciplinaire du cerveau et de la moelle épinière et de leurs désordres. L’ICM regroupe environ 600 chercheurs répartis sur 25 équipes de recherche et 20 plateformes technologiques. Les travaux qui y sont menés couvrent tous les niveaux d’investigation depuis les processus génétiques et moléculaires jusqu’à l’étude du comportement normal et pathologique. L’ICM héberge aussi une pépinière d’entreprises dont certaines œuvrent précisément dans le domaine des applications des nouvelles technologies au diagnostic et au soin dans le domaine des maladies neurologiques et psychiatriques.

Qu’est-ce que les TOCS ?

Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) sont classiquement considérés comme des troubles mentaux qui sont caractérisés par la présence d’obsessions (pensées intrusives et répétitives) et de compulsions (comportements irrépressibles) qui échappent au contrôle de la personne et ont un impact important sur sa qualité de vie.

Les obsessions peuvent être centrées sur des thématiques comme la peur d’être contaminé, de provoquer une catastrophe malgré soi ( « l’immeuble pourrait brûler », « ma mère pourrait mourir par ma faute si je ne marche pas sur la ligne »,…), de perdre ou d’oublier des objets importants (« est-ce que je n’aurais pas fait tomber quelque chose de ma poche sans m’en rendre compte ? »), peur d’être pédophile, peur d’agir sous une impulsion non voulue (par exemple, de poignarder un ami), peur de laisser échapper des obscénités ou des insultes, peur de blesser d’autres personnes par négligence (par exemple, provoquer ou subir un accident de la voie publique), etc.

Les types d’obsessions sont extrêmement nombreux et variés. L’instrument d’évaluation de référence (check list de la Y-BOCS), en recense 7 grandes catégories regroupant plus de 40 obsessions diverses. Une même personne souffre souvent de plusieurs types / thèmes d’obsessions et elles changent parfois au fur et à mesure du temps.

Les compulsions quant à elles peuvent s’exprimer de multiples façons, comme se laver les mains durant 20 ou 30 minutes et selon une séquence précise (17 fois le pouce, puis 12 fois la paume, les autres doigts en commençant par le majeur, rincer 7 fois, laver le robinet…), vérifier 19 fois que la porte d’entrée est correctement fermée et que les lumières sont bien éteintes par une procédure systématique, devant être respectée à la lettre avant de partir de chez soi (éteindre l’interrupteur, jusqu’à ce que « le bruit convienne »), repositionner plusieurs fois le verre sur la table jusqu’à ce qu’il ait la place « parfaite », répéter des mots ou compter dans sa tête, etc. Une même personne souffre souvent de plusieurs types / thème de compulsions et elles changent parfois au fur et à mesure du temps.

Les relations entre obsession, compulsion et anxiété peuvent être décrites par les personnes atteintes de TOC comme une suite logique : une obsession arrive subitement (exemple : « il se pourrait que j’attrape le VIH »), puis elle provoque une anxiété qui peut être plus ou moins importante, et pour réduire cette anxiété et chasser l’idée qui l’a générée, les compulsions arrivent (« je vais me laver plusieurs fois et avec de l’eau de javel pour être sûr qu’il n’y a pas de VIH sur mes mains »). Les personnes expliquent le fait de répéter les compulsions (se laver les mains plus d’une fois) par une sensation que l’action a été « mal faite ».

La démarche originale d’Altotoc

Le rôle socialement dévolu aux personnes présentant des troubles mentaux est communément celui de patient, c’est-à-dire, le pôle passif de la relation médecin/malade. La maladie est dans le malade et il en est l’objet.

La démarche Altotoc replace le « patient » dans une position de sujet-agent-expert, paritaire avec les autres membres d’une équipe composée de sociologues, ergothérapeutes, psychologues, psychiatres, chercheurs, ingénieurs, et de membres de l’AFTOC (Association Française de personnes présentant des TOCS).

Notre objectif est de concevoir ensemble des solutions technologiques innovantes (applications smartphones, objets connectés) personnalisées pour évaluer le retentissement du TOC au quotidien et doter les personnes de moyens pour améliorer leur qualité de vie.

Par exemple, une personne doit passer l’aspirateur en respectant l’alignement des lattes de son parquet. Ce rituel occupe 4 heures par jour et a donc un impact important sur sa qualité de vie (anxiété importante associée au rituel, temps considérable passé au rituel qui ne peut être utilisé pour des loisirs et retentissement sur les relations familiales et sociales). L’utilisation d’un robot-aspirateur a permis à cette personne de « gagner  » 4 heures par jour. Cela ne lui prend plus que quelques minutes pour changer le robot de pièce. Ce dispositif ne visait pas directement à diminuer les symptômes mais à en diminuer le retentissement au quotidien, il peut ainsi avoir un impact positif sur sa qualité de vie

Altotoc s’inscrit dans un mouvement généralement désigné par les termes de conception participative, innovation participative –open innovation crowdsourcing– qui vise à intégrer pleinement les usagers à la conception de ces solutions.

Pour inventer ces solutions, nous avons créé un site web participatif : altotoc.fr pour catalyser une créativité collective. Parallèlement, nous menons une étude de terrain basée sur des observations très détaillées au domicile de personnes présentant des TOC chez qui nous installons ensuite des dispositifs imaginés spécialement avec, par et pour elles.

Enfin, les dispositifs co-conçus par Altotoc ne sont pas nécessairement « high-tech ». Par exemple, un simple sur-siège à base large a permis à une personne de s’asseoir pour la première fois depuis 5 ans sur son canapé qu’elle ne pouvait utiliser en raison d’un « TOC des plis » , lui permettant ainsi de davantage se détendre à son domicile, et de s’engager dans un processus progressif d’aménagement de diminution de l’impact des TOCS.