Dans nos sociétés occidentales, l’acte de manger a perdu une grande partie de sa signification. Le musée Dapper, dédié aux cultures de l’Afrique et de ses diasporas, en fait le sujet d’une très belle exposition, où plus de 140 objets provenant d’Afrique, d’Insulinde et d’Océanie sont présentés. Elle rappelle que dans ces sociétés dites traditionnelles, la nourriture est intimement associée à de nombreux rituels religieux ou sociaux : offrandes, mariages, fêtes agraires… Nous l’avons visitée en compagnie de Bonny Gabin, attaché culturel du musée.

La nourriture au coeur des traditions

Bien qu’esthétiquement, certains soient comparables à de véritables œuvres d’art, ces objets sont le plus souvent utilitaires et tiennent une place importante dans l’exécution des rites et des coutumes. Par exemple, pour rendre hommage à leurs ancêtres, les Fang du Gabon honoraient une petite statue tenant un réceptacle au niveau du nombril, représentation de la figure de l’ancien qu’il fallait nourrir. Lorsqu’un homme souhaitait quelque chose, il pouvait demander l’aide de cet ancêtre, en déposant un peu d’huile de palme dans le réceptacle pour qu’il exauce son souhait.

En revanche, dans la culture yoruba au Nigeria, le culte était basé sur les interdits alimentaires. Les orishas (sortes de saints), étaient associés à un ou plusieurs aliments défendus, que l’individu qui les vénérait ne pouvait manger. Des bâtons matérialisaient ces orishas, et rappelaient aux hommes qu’il fallait régulièrement faire des sacrifices en leur honneur.

La nourriture était aussi associée, dans certains peuples, à des rituels de guerre. Par exemple, au Cameroun, le chef buvait du vin de raffia dans une corne de buffle et le crachait au visage de ses guerriers pour leur donner de la force. En Papouasie, les guerriers mangeaient les ennemis vaincus et portaient à la ceinture leurs crânes, qu’ils avaient retravaillés en les peignant et en les remodelant avec de la terre pour en faire de véritables œuvres, parfois très colorées.

L’acte de manger, reflet d’une culture

Sous leur aspect anodin, les objets liés à la prise de nourriture sont souvent révélateurs de la culture des hommes auxquels ils appartiennent. Ainsi, les pièces issues des Bantou d’Afrique Centrale renvoient à la notion d’individualité, comme cette statue congolaise représentant une mère s’alimentant dans un petit récipient personnel, ou encore ces coupes venant du Cameroun, dont le couvercle, très détaillé, servait aussi à communiquer sur son humeur. A l’opposé, au Mali, plus pauvre sur le plan alimentaire, beaucoup d’objets liés à la nourriture représentaient des symboles collectifs. Est notamment exposée une grande jarre malienne, très sobre, dont la cuisson se faisait en commun, sur le même feu. Comme nous l’indique Bonny Gabin, dans cette société, même les noms n’exprimaient pas la personnalité de ceux qui les portaient, mais simplement leur fonction. Cissé, par exemple, signifiait « chevalier ».

En Côte-d’Ivoire, chez les Dan, la nourriture était aussi un moyen, pour les femmes, d’affirmer leur accomplissement. Elles sortaient alors de grandes cuillères sculptées en forme de femme et jetaient des quantités de riz en signe d’épanouissement.

Des ateliers et visites pour le jeune public

Difficile de dater la plupart des objets présentés dans l’exposition : l’art africain étant arrivé en Europe par des personnalités, on retenait davantage le nom de celui qui ramenait l’objet que la date. Selon Bonny Gabin, il serait possible aujourd’hui de dater précisément les œuvres présentées. Mais cela en chamboulerait toute l’échelle de valeur.

Le jeune public n’est pas oublié dans cette exposition. Outre des visites contées, le musée Dapper propose un atelier pédagogique et ludique en rapport avec l’exposition, intitulé « une drôle de cuiller ». Les enfants sont invités, après une visite contée de l’exposition, à créer leurs propres ustensiles. Bien sûr, l’atelier et l’exposition accueillent aussi des groupes scolaires, sur demande.

L’art de manger, rites et tradition 
Jusqu’au 12 juillet 2015 au musée Dapper, Paris