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Versailles – 1996 – Cryo Interactive

Romain Vincent, 29 ans, enseigne l’histoire-géographie au collège de l’Europe, à Chelles (Seine-et-Marne). Passionné par les jeux vidéo depuis l’enfance, son envie de les intégrer dans sa pratique éducative l’a poussé à créer une chaîne YouTube, où il partage ses idées de “serious gaming”. Depuis cet été, il prépare des séances pédagogiques, pour ses élèves de 6e, 5e et 3e.

En mai-juin 2015, Romain Vincent prévoit d’utiliser Versailles avec sa classe de 5e. Sorti en 1996, ce jeu ludo-culturel permet de mener une enquête, en analysant les décors du château de Versailles, en discutant avec des personnages historiques, ou en consultant une encyclopédie.

La séance durera 2 heures. Les élèves se rendront directement à un moment donné du jeu, grâce à des sauvegardes. Une “mission” leur sera assignée, par exemple  analyser, sur une fiche, la cérémonie du lever du roi. “Cette feuille de route établie pour l’élève est impérative. Il faut guider la progression de l’élève dans le jeu, afin qu’il ne soit pas détourné par le côté divertissant du jeu”, note Romain Vincent.

Dans les pas d’Yvan Hochet, qui utilisait Sim City avec ses élèves, l’enseignant prévoit aussi d’adapter ce dernier jeu à son enseignement, en septembre 2015, dans le cadre du chapitre du programme de 6e intitulé “habiter la ville”, qui consiste à analyser les caractéristiques des grandes villes du monde.

Le professeur d’histoire devrait également utiliser Type:Rider, un jeu de plateforme qui retrace l’histoire de l’écriture, “ce qui est au programme de 6e”, note-t-il. “Type Rider permet de découvrir les premiers types d’écriture, comme les hiéroglyphes ou l’écriture cunéiforme en Mésopotamie. L’idée, c’est d’adapter le jeu, en fournissant un petit tableau à remplir aux élèves : nom de l’écriture, date et lieu d’invention…”, explique Romain Vincent.

La force pédagogique des jeux vidéo

Les Chevaliers de Baphomet - 1996 - Revolution Software

Les Chevaliers de Baphomet – 1996 – Revolution Software

Pour l’enseignant, les jeux vidéo “peuvent être une porte d’entrée vers l’Histoire. Ils peuvent donner envie à des élèves de s’intéresser à une période historique, de l’approfondir”.

Ce fut son cas, plus jeune, lorsqu’il a découvert un jeu d’aventure : Les Chevaliers de Baphomet. “Ce jeu reprenait des éléments du Moyen-Âge. Il m’avait donné envie de m’intéresser à cette période, tout en me donnant quelques notions”, se souvient-il.

“Mais l’on ne peut pas non plus apprendre toute l’histoire ou le programme uniquement via un jeu vidéo”, ajoute Romain Vincent. Ainsi, estime-t-il, “le professeur doit-être présent, derrière, et jouer son rôle de médiateur.

Les jeux vidéo, à l’image du dernier Assassin’s Creed, qui se déroule pendant la Révolution Française, peuvent parfois prendre des libertés avec la réalité. “Les erreurs sont toujours possibles. D’où l’importance d’instituer un ‘debriefing’ après la séance, avec les élèves”, remarque Romain Vincent.

Versailles - 1996 - Cryo Interactive

Versailles – 1996 – Cryo Interactive

Pourquoi l’enseignant préfère-t-il le “serious gaming” aux “serious game” (jeux conçus uniquement dans un but pédagogique) ? “Il y a souvent plus de moyens mobilisés derrière un jeu vidéo : ils sont donc mieux faits graphiquement. Le gameplay est aussi plus pointu, quand les jeux sérieux sont souvent un peu ternes, académiques”, note Romain Vincent.

“On rentre plus facilement dans un jeu vidéo, qui permet de découvrir tout un environnement. En plus, pas besoin de bidouiller du code pour l’utiliser en classe”, remarque-t-il. Pour lui, le jeu vidéo est utile à plus d’un titre. Les élèves “apprennent à manier un ordinateur, et aussi à se repérer dans l’espace et le temps”. Le jeu peut également permettre “de raccrocher des élèves en difficulté”.

Le serious gaming : des contraintes à prendre en compte

Type:Rider - 2013 - Ex Nihilo

Type:Rider – 2013 – Ex Nihilo

Les professeurs intéressés par le serious gaming doivent anticiper certaines contraintes. “D’abord, le temps : pour construire une telle séance pédagogique, il faut jouer au jeu, et chercher les erreurs”, explique Romain Vincent.

Se pose aussi la question des moyens techniques et des financements. “Un enseignant aura besoin d’un certain nombre de postes informatiques. Des machines suffisamment puissantes pour pouvoir lancer des jeux vidéo récents, ce qui est un cas de figure encore trop rare dans les établissements scolaires”, note l’enseignant.

Le professeur intéressé doit aussi prendre en compte la question de l’achat des licences, et les problèmes de compatibilité entre des jeux “anciens” et le système d’exploitation de l’ordinateur. “Il faut bidouiller et passer par des émulateurs, par exemple… ce qui pose la question des autorisations réseau”, indique Romain Vincent.

Versailles - 1996 - Cryo Interactive

Versailles – 1996 – Cryo Interactive

L’enseignant constate aussi “qu’il faut adapter les emplois du temps et demander des autorisations pour réaliser une séance de deux heures. Il y a aussi tout un travail administratif !”.

Enfin, “il faut choisir des jeux accessibles à tous, niveau gameplay : tous les élèves ne maîtrisent pas l’outil informatique, et il y a toujours le risque de créer une fracture entre ceux qui savent jouer et ceux qui ne savent pas”, remarque le professeur d’histoire.

Des mentalités qui évoluent

Romain Vincent conclut : “très peu de professeurs d’histoire utilisent les jeux vidéo, alors que ce sont des ressources extrêmement riches. Elles sont inexploitées, faute d’une formation et d’une sensibilisation des enseignants suffisantes.”

Et de noter : “il existe encore, chez nombre de professeurs, des a priori. Heureusement, les mentalités évoluent, peut être grâce à une nouvelle génération d’enseignants, qui ont baigné dans les jeux vidéo plus jeunes”. Le jeu vidéo est, pour Romain Vincent, “un média comme un autre, voire plus riche que les autres. Contrairement aux idées reçues, on peut apprendre des choses en jouant !”

En janvier 2016, nous avons réalisé un reportage dans la classe de Romain Vincent. Ses 5e ont utilisé le jeu vidéo Stronghold pour étudier le Moyen-Âge. Le voici :

Parce que les jeux sérieux peuvent aussi être utilisés en SVT, au CDI ou en maternelle, sous la forme de jeux vidéo, de jeux de plateaux ou de jeux de rôle, cet article est le sixième épisode d’une série qui vous entraînera dans le vaste univers du ludo-éducatif.
Episode 1 : Les serious games à la maternelle : un jeu d’enfant !
Episode 2 : Serious game en SVT ou en techno : le ludique au service des sciences

Episode 3 : Les jeux sérieux, un support pour les professeurs documentalistes
Episode 4 : Jeux sérieux en histoire-géo : un outil d’immersion pour les élèves
Episode 5 : Serious gaming : détourner des jeux vidéo à des fins pédagogiques
Episode 6 : Serious gaming : les jeux vidéo, une “porte d’entrée” vers l’Histoire
Episode 7 : Mathador : un jeu pour comprendre la valeur des nombres
Episode 8 : Serious games : ils ne sont pas que numériques !
Episode 9 : Serious games : des jeux de rôle pour rendre les cours concrets
Episode 10 : Comment motiver des élèves ? En leur faisant créer des jeux vidéo !
Episode 11 : Apprendre l’histoire de manière interactive grâce à un jeu vidéo