La maternelle, école du lien et du vivre-ensemble, est-elle un lieu où les apprentissages doivent être conçus en direction des niveaux suivants de la scolarité (comme dans un “mini-CP”), et évalués, ou faut-il au contraire éviter cette “primarisation” ? Le 5 février, le Conseil Supérieur de l’éducation (CSE) a tranché. Il a opté pour la seconde solution, dans le cadre des nouveaux programmes de la maternelle.
Ces programmes, qui s’appliqueront dès septembre 2015, redéfinissent une séparation claire entre la grande section de maternelle et le CP. De nouveaux cycles entre maternelle et primaire seront instaurés. La grande section de maternelle, assimilée jusqu’ici au cycle 2, et mise sur le même plan que le CP, sera ainsi classée en cycle 1, au même titre que les deux premières années de maternelle. “Cela permet de dédramatiser un peu la grande section, et élimine des situations d’échec précoce, indiquait Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes (CSP), au Parisien, peu après le vote du CSE.
Il s’agira pour les enseignants de suivre l’enfant dans la durée (en prenant le temps), à travers l’apprentissage par le jeu, la création, et la stimulation du langage écrit ou parlé. Les enfants partiront à la découverte des nombres, apprendront à manipuler les syllabes, baigneront dans le bain de la langue française, mais pas question pour eux d’apprendre, trop vite, la lecture et l’écriture.
Taux d’encadrement vs taux de scolarisation
“Il faut effectivement, le plus tôt possible, organiser ce bain de langage, sur lequel tout se greffera : les échanges sociaux, les apprentissages, la socialisation ‘scolaire’”, indique Marie-Thérèse Zerbato-Poudou, maître de conférences à l’IUFM de Marseille et spécialiste des classes maternelles, invitée sur le plateau de France Culture, lors de l’émission “Rue des Ecoles”, le 4 février.
Pour Bruno Suchaut, directeur de l’Unité de recherche pour le pilotage des systèmes pédagogiques (USRP) dans le Canton de Vaud, en Suisse, le ”bain linguistique” et l’apprentissage du français est l’une des missions de la maternelle. “Dès 24 mois, on voit qu’il y a des écarts considérables entre les enfants issus de milieux sociaux opposés. La maternelle, et plus généralement la prise en charge de la petite enfance, est un contexte pertinent pour réduire ces inégalités”, explique-t-il sur France Culture. Et de constater un “taux d’encadrement insuffisant pour développer suffisamment les apprentissages, et permettre aux enseignants de consacrer suffisamment de temps, individuellement, à certains élèves”.
Le taux de scolarisation, à partir de 3 ans, est de 99% en France. “Mais à 2 ans, ce taux avoisine les 11%… et l’on dépense beaucoup moins d’argent pour la maternelle, que dans les autres pays de l’OCDE. L’on préfère investir davantage dans le secondaire, en particulier le lycée. Un fort taux de scolarisation ne suffit donc pas”, poursuit Bruno Suchaut. Face aux inégalités sociales, “investir dans la petite enfance et l’école primaire, c’est pourtant capital”, remarque le chercheur, spécialiste des politiques éducatives en France et à l’étranger.
De l’importance de la formation
Pour Marie-Thérèse Zerbato-Poudou, c’est surtout dans la formation des enseignants qu’il faut agir, “pour que ceux-ci travaillent à l’école maternelle”. Autrefois, “il y avait des inspecteurs et des conseillers pédagogiques dédiés au secteur maternelle, alors qu’aujourd’hui, ils s’occupent à la fois de la maternelle et de l’école élémentaire”, indique-t-elle. “Les enseignants qui se consacrent à l’école maternelle doivent être davantage accompagnés… ou alors, il faudrait consacrer beaucoup plus d’heures à ce secteur lors de leur formation initiale”, propose l’ancienne formatrice IUFM.
“La formation des enseignants, tant initiale que continue, est sinistrée. Elle tente de se remettre sur pieds, mais elle reste sinistrée”, déplore de son côté Bruno Suchaut. Il décrit ainsi nombre d’enseignants qui ne sont pas formés aux “pédagogies et aux mécanismes d’apprentissage spécifiques aux enfants de moins de trois ans” – telles que la conscience phonologique (la capacité à manipuler des sons et des syllabes).
Se penchant sur le taux d’encadrement en maternelle, le chercheur, qui avait déjà pointé du doigt un “manque de temps consacré à l’apprentissage de la lecture en CP”, constate qu’en ce qui concerne la petite enfance, “les enseignants doivent également consacrer du temps aux enfants, notamment pour le langage”, mais que “cela n’est pas possible avec des classes de 25 ou 30 enfants.”
[warning]L’émission “Rue des Ecoles” du 4 février est disponible en replay sur France Culture.[/warning]
Le temps d’école a fondu au soleil : seulement 24h par semaine… Et on s’étonne que le bain linguistique soit insuffisant ?