alphabet-379221_1280Pouvez-vous nous présenter votre association l’AFEF en quelques mots ?

L’AFEF a été créée en 1967, dans une période où le français était la discipline considérée comme porteuse de l’ensemble de la rénovation de l’enseignement en France. L’association a été créée aussi pour répondre à une demande internationale de fédérer l’ensemble des enseignants de français du monde entier. Cela a abouti à la création de la fédération internationale des professeurs de français. Nous sommes d’ailleurs adhérents de cette fédération, la FIPF.

La particularité de notre association est que nous allons de la maternelle à l’université, afin de couvrir l’ensemble des problématiques liées à notre discipline. Nous nous intéressons au français à la fois comme langue, mais aussi comme culture – incarnée entre autres par la littérature. Cette discipline qui irrigue toutes les autres est fondamentale dans la construction de l’élève citoyen, et notre association est très préoccupée par les inégalités sociales, culturelles et également scolaires – celles que l’école produit elle-même – dont sont victimes les élèves.

Enfin, une de nos problématiques fondamentales est également la formation des enseignants. Leur formation devrait les conduire à être davantage dans une posture d’accompagnement de l’élève. Il s’agirait là d’une formation non pas académique, mais bien professionnelle. A ce jour, la formation reçue en ESPE est très hétérogène, et bien que des initiatives soient tout à fait intéressantes, elle se heurte globalement à un manque de temps réservé à la formation pédagogique.

Vous évoquez le manque de temps dans la formation des enseignants, mais n’est-ce pas aussi finalement le problème majeur dans l’enseignement du français ?

En effet, le volume horaire du français au collège par exemple a diminué de moitié en quarante ans.

C’est ce que souligne aussi Bruno Suchaut pour le primaire : il explique ainsi que les élèves ne disposent pas en primaire du temps nécessaire à l’apprentissage de la lecture. Il faut du temps d’échange, de dialogue, avec les enseignants, surtout pour les élèves venant des milieux les plus défavorisés. Et plus généralement, ce temps d’apprentissage n’est pas le même pour chaque élève. Il est nécessaire de former les enseignants à comprendre comment cette réalité fonctionne, dans le cadre d’une formation continue qui leur permette de prendre du recul sur leur façon d’enseigner. En faisant venir par exemple un chercheur dans la classe pour observer les pratiques et en discuter ensuite.

Nous prônons une véritable formation continue, en particulier par le biais de « recherche-action ». Nous proposons dans notre association de réfléchir sur nos pratiques, et d’être continuellement dans une démarche d’autocritique, d’autoformation. C’est ce que nous faisons lors de nos journées de rencontres. Nous avons par exemple organisé une université d’automne autour de la langue des disciplines en octobre dernier.

A côté du temps et de la formation, ne se pose-t-il pas également la question d’une nécessaire réforme des programmes ?

Je distingue entre programmes de collège et de lycée. Ceux de lycée sont relativement ouverts : il y a de grands thèmes d’étude, mais dans lesquels l’enseignant serait plutôt libre si le bac à la fin de la première ne transformait souvent l’enseignement en bachotage. Au collège, en 2002, il y a eu des programmes assez ouverts, balayés totalement par les programmes de 2008, qui ont opéré une régression par rapport aux avancées de la recherche. Deux exemples : on a vu apparaître dans ces programmes de 2008 la leçon de grammaire, et en disparaître la littérature jeunesse. Les changements de programme incessants compliquent considérablement la tâche des enseignants. Et cela se ressent d’autant plus fortement dans la discipline français, qui est au cœur des déchirements sociaux. Dès que l’on veut changer un point de grammaire ou d’orthographe, c’est une levée de boucliers. Les enseignants de français portent cette pression sociale forte. Si un jour vous dites : on va supprimer la dictée, imaginez les réactions !

Précisément sur l’orthographe, quelle est votre position ? Faudrait-il la simplifier ou du moins changer les méthodes d’enseignement ?

Cette question de l’orthographe est une spécificité française, avec laquelle nous devons travailler. Durant une période dans l’enseignement, certains aspects de son apprentissage ont été négligés. Or l’orthographe est un système dans lequel il faut entrer. Les enseignants doivent être formés à ce qu’est ce système orthographique français avec ses régularités et ses irrégularités, et doivent avoir du temps pour se focaliser avec leurs élèves sur ce système-là. La dictée n’est pas un moyen d’apprendre l’orthographe, mais de la fixer. Il s’agit plus d’amener les élèves à réfléchir sur un texte écrit et à voir comment cela fonctionne. Il faut absolument prendre le temps de le faire. D’autant qu’en France il est vrai que le français est plus une langue de l’écrit qu’une langue de l’oral dans l’enseignement.

Dans notre association, nous sommes pour une simplification de l’orthographe. Et si la société veut continuer à maintenir la pression sur la norme orthographique, alors qu’elle donne les moyens à l’école. Il faudrait également arrêter de se focaliser sur les programmes. Mais davantage se focaliser sur ce qu’apprennent les élèves. La logique de programme en effet est difficilement compatible avec l’idée de conduire la classe, c’est-à-dire tous et chacun, à un certain niveau. Pourquoi ne pas entrer plutôt dans une logique de curriculum ? Les élèves aujourd’hui écrivent peu et parlent peu en classe. Il serait souhaitable de les faire pratiquer.

Concrètement aujourd’hui, pourriez-vous proposer une première piste pour améliorer l’enseignement du français ?

Oui, ce serait de favoriser la formation continue des enseignants, mais de l’accompagner impérativement de recherche-action. Sans la mise en œuvre de nouvelles pratiques, cela ne sert à rien. Prenons l’exemple des maîtres supplémentaires au primaire. Cette initiative est formidable si elle s’accompagne de nouvelles pratiques. Mais si le maître supplémentaire refait la même chose que son collègue, ou si par exemple dans le cadre d’un travail en demi-groupe, il refait la même chose qu’en classe entière, l’efficacité est limitée.