Le numérique à l’école, une révolution ? Pas vraiment, du moins pas en France, selon Bernard Cornu et Jean-Pierre Véran, coordinateurs du dernier numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Ils présentaient ce mercredi, avec le rédacteur en chef de la Revue Alain Bouvier, l’ouvrage intitulé Pédagogie et révolution numérique.
Pour Bernard Cornu, l’intégration du numérique en classe repose sur 3 idées fortes : la pédagogie, la volonté politique et la formation des enseignants.
Le rôle de l’enseignant renforcé
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le numérique n’affaiblit pas le rôle de l’enseignant, mais renforce sa place stratégique, selon Jean-Pierre Véran. « Le professeur n’est plus le seul à distribuer le savoir », explique Bernard Cornu. Aujourd’hui, l’information est partout : sur Internet, les réseaux sociaux… « L’enseignant doit être le médiateur entre le savoir et l’élève », en lui apprenant à reconnaître une information pertinente, en le responsabilisant…
Mais l’intégration du numérique en classe est aujourd’hui souvent réduite à une approche technologique. En effet, beaucoup d’enseignants installent le numérique dans leur classe en « ajoutant » les nouvelles technologies à leurs pratiques traditionnelles. Or, « le problème de l’intégration du numérique à l’école est plus pédagogique que technologique », estime Bernard Cornu. Il faut s’appuyer sur les TICE pour « créer des situations nouvelles » et repenser la pédagogie. Car « l’école d’aujourd’hui est antinomique du numérique » : par exemple, elle a tendance à considérer les élèves de façon individuelle, alors que le numérique favorise le travail collectif.
« On sait ‘numériser’ l’enseignant d’hier et d’aujourd’hui, mais on ne sait pas préparer l’enseignant de demain », déplore Bernard Cornu.
Une formation au numérique insuffisante
Le point défaillant selon Bernard Cornu ? La formation des enseignants. La question du numérique n’était pas prioritaire dans les anciens IUFM, elle ne l’est toujours pas dans les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). Et il y a quelques années, la formation des enseignants a été mise à mal au moment où les professeurs avaient le plus besoin d’être formés au numérique, souligne Alain Bouvier.
Une formation au numérique d’autant plus nécessaire que le gouvernement prévoit la mise en place d’un enseignement de l’informatique à tous les niveaux à partir de la rentrée 2016. Une bonne chose selon Bernard Cornu, pour qui « il faut enseigner le concept informatique pour comprendre la société ».
« En France, on a trop sanctuarisé l’école par rapport aux besoins de la société », juge d’ailleurs le coordinateur.
Une impulsion politique faible
Aujourd’hui, « le numérique a révolutionné la société, mais pas l’éducation. Les pays où le numérique est le mieux intégré à l’école sont ceux où la politique éducative a rejoint celle de la société sur le numérique », analyse Bernard Cornu. En Corée du Sud, par exemple, la société est numérique, et l’école n’est qu’une facette de cette société. Le pays a fait de l’éducation numérique une priorité depuis plusieurs années, développant entre autres la formation des enseignants à des pratiques pédagogiques innovantes ou rendant l’enseignement de l’informatique obligatoire dans le secondaire inférieur. La politique de l’établissement scolaire joue également un rôle crucial selon Jean-Pierre Véran. Dans un même pays, on observe ainsi de grandes disparités de pratiques entre deux établissements dotés des mêmes équipements.
En France, la volonté politique de changement existe, mais l’institutionnalisation est difficile, souligne Alain Bouvier. En cause notamment, la centralisation du système éducatif qui ne facilite pas l’innovation. En Australie, par exemple, le programme est national, mais les enseignants sont libres d’interpréter le curriculum.
La concertation nationale sur le numérique à l’école, lancée mardi par Najat-Vallaud Belkacem, fera-t-elle avancer les choses ? Pour Bernard Cornu, ce n’est pas certain.
On voit mal le rapport entre une « formation au numérique » et l’enseignement de l’informatique…
De même les auteurs oublient opportunément de rappeler certaines petites caractéristiques dans le système éducatif coréen, qui en font un système difficile à importer en France avec leur assentiment.
Autre confusions consternantes : « informations », « connaissances », « savoir » sont des choses qu’il faudrait peut-être apprendre à distinguer : le savoir ne se distribue pas. Ajoutons que le web n’offre malheureusement pas que des connaissances (…quand elles sont valides et adaptées aux enfants) ; que le professeur n’a jamais prétendu être la seule source de connaissances ; l’accès libre aux connaissances a toujours été possible (bibliothèques, CDI etc.) ; le professeur fait bien plus que donner l’accès à des connaissances…
Vouloir faire du numérique la priorité dans la formation des enseignants est non seulement consternant, mais gravissime compte tenu du naufrage de l’école actuelle.
En réalité on voit bien que le numérique est un cheval de Troie pour transformer l’école contre les enseignants.
Encore une fois, suivre une formation sur une application, un logiciel, un accessoire comme le TBI ou Moodle par exemple, ne sert absolument en rien si on ne peut pas utiliser ces outils dans sa classe à la suite de la formation.
Voilà pourquoi, je pense que de nombreux collègues convaincus des apports possibles du numérique ne se forment pas.
Les connexions internet dans les lycées ne sont pas dimensionnées pour permettre à l’ensemble des élèves d’utiliser les outils numériques.
Actuellement, l’usage du numérique en classe, du fait des moyens insuffisants, entraîne plus de frustration que de d’émulation.
Alors un grand merci aux collègues courageux qui innovent, pour le reste il faut encore être très patient.