Quelques jours après l’attentat contre Charlie Hebdo et la grande mobilisation citoyenne, à Paris et partout en France, retour à la réalité. Le ministère de l’éducation a convoqué, lundi 12 janvier, les représentants de la communauté éducative.

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La ministre a reçu les organisations syndicales / Photo Twitter @EducationFrance

Najat Vallaud-Belkacem a rencontré, successivement, les syndicats d’enseignants, d’élèves et de parents. Objectif : trouver une réponse aux refus de certains élèves, jeudi dernier, de participer à la minute de silence en hommage aux victimes de l’attentat.

Plusieurs journaux relèvent ainsi le cas d’écoles où des élèves auraient refusé de participer à ce moment de recueillement. « Dans une école élémentaire de Seine-Saint-Denis, pas moins de 80 % des élèves d’une classe ont refusé cette minute de silence », décrivait ainsi, vendredi, Le Figaro. « Certains reproduisent des discours complotistes », expliquait leur enseignant. Dans un collège de Roubaix, indique l’AFP, un rassemblement de 400 élèves s’est tenu « dans un grand bourdonnement. »

« Certains cas de perturbations de la minute de silence par des élèves nous ont été signalés. Cela concernerait des élèves, généralement isolés, dans environ 70 établissements sur les 64 000 que l’on compte sur tout le territoire. Les cas de perturbations ont donc été très minoritaires, mais ils ont été pris très au sérieux par les équipes éducatives », nuançait samedi le ministère de l’éducation nationale, dans un communiqué.

Des enseignants parfois « démunis »

D’autres médias décrivaient, les jours suivant l’attentat contre Charlie Hebdo et la prise d’otages de la supérette de la Porte de Vincennes, de jeunes élèves allant jusqu’à justifier les actions des terroristes. « Ils n’avaient pas le droit de se moquer du prophète. Ils n’avaient qu’à pas se moquer de notre religion », avaient ainsi lancés les élèves de CM1 d’Hélène, professeure d’un établissement du nord de Paris situé en réseau d’éducation prioritaire (ex-ZEP), comme le relate l’Express. Et le magazine de décrire une enseignante « choquée et démunie devant ces réactions ».

brevet collège 2014Au Figaro, Augustin, professeur d’espagnol dans un lycée professionnel de banlieue parisienne, raconte ses efforts pour discuter avec ses élèves de l’attentat contre Charlie Hebdo. « Beaucoup étaient à la fois peu informés et mal informés », se souvient-il. Surfant sur Internet, certains élèves ont été convaincus par des vidéos sur Youtube « mettant en doute le déroulement des faits ». D’autres n’ont pas compris le traitement médiatique de l’événement. Ainsi, une élève a-t-elle déclaré : « tout ça, c’est fait pour faire du buzz ». Et un autre d’ajouter : « 12 morts, c’est rien à côté de la Palestine ».

Sur son blog, une enseignante d’un collège de Seine Saint-Denis nuance ce tableau. « Nous en avons débattu. Ils ont été intelligents, ils ont posé des questions, ils ont posé les problèmes », écrit-elle. « Toutes et tous ont compris. Aucun ne m’a dit : ‘C’est bien fait’, ‘Ils l’ont bien cherché’. Aucun. Je n’ai pas eu besoin de les mener à dire quoi que ce soit. Ils l’ont dit eux-mêmes », ajoute-t-elle.

Revenant sur la minute de silence, elle remarque : « une poignée d’élèves a refusé de la faire. Ce sont les mêmes élèves qui, tout au long de l’année, ne respectent pas l’école ni les enseignants. Les mêmes qui viennent au collège sans leurs affaires, ne font pas leur travail, n’apprennent pas leurs leçons, perturbent le cours. Les mêmes dont les parents ne viennent pas aux réunions de remise des bulletins, les mêmes dont la famille ne répond pas au téléphone. Les mêmes dont nous peinerons à freiner la déscolarisation. Ce n’est pas une coïncidence. »

Mobilisés autour des valeurs républicaines

Pour répondre à cette problématique, Najat Vallaud-Belkacem tente donc, avec la communauté éducative, de « préparer une mobilisation renforcée de l’Ecole pour les valeurs de la République ». La ministre souhaite « amplifier » la mobilisation de la communauté éducative « à moyen et à long terme, car l’école de la République a parmi ses principales missions de faire vivre les valeurs de Liberté, d’Egalité et de Fraternité ».

L’objectif est notamment de réfléchir aux interventions à mener en classe, autour des attentats (en s’appuyant, si besoin, sur les ressources pédagogiques du ministère), mais aussi plus généralement, d’améliorer l’éducation à la citoyenneté, autour des « valeurs républicaines » : libertés d’expression et de conscience, laïcité, démocratie.

Pour le dessinateur et caricaturiste Plantu, invité samedi 10 janvier du journal inattendu, sur RTL, « il faut combattre le terrorisme avec la pédagogie : les profs ont un boulot considérable et merveilleux à faire avec les jeunes ». En guise d’exemple, il suggère de commencer par la thématique de « l’intolérance » : « il faut désapprendre l’intolérance, car l’on apprend trop souvent l’intolérance. Il s’agit là d’un formidable travail de pédagogie à instituer ».

I am Charlie (In French) card with colorful background © gustavofrazao - Fotolia

I am Charlie (In French) card with colorful background © gustavofrazao – Fotolia

Philippe Watrelot, président du Crap-Cahiers Pédagogiques, indique à l’Express : « il est important de rappeler les valeurs, celles de la république et de la démocratie. Poser les principes de la liberté d’expression et de l’Etat de droit ».

« Ne surtout pas faire le procès de l’école »

Lors de leur rencontre avec Najat Vallaud-Belkacem, les syndicats (FSU, Unsa, Sgen-CFDT, Snalc) ont exprimé les besoins d’accompagnement des personnels, mais aussi de formation continue. Saluant la mise en ligne « réactive » de ressources pédagogiques par le ministère,  Bernadette Groison, de la FSU, estime ainsi que « cela ne suffira pas », et qu’il y a « un besoin important de formation continue. »

« Le pire, c’est quand les élèves s’enferment dans un silence, qu’ils pensent que l’école, les valeurs de la République ne sont pas faites pour eux. C’est dramatique parce qu’on ne repère pas ces élèves qui sont peut-être en fragilité et qui peuvent par la suite se faire manipuler, embrigader. Il est essentiel qu’on libère cette parole », indique de son côté Laurent Escure, de l’Unsa Education, à l’AFP.

Pour Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp-FSU, attention à ne pas « se tromper de débat ». Selon lui, « il ne faut pas faire le procès de l’école : ce qui se passe n’est pas de sa faute. Souvent, les enseignants s’engagent, justement, dans des conditions difficiles, pour transmettre les valeurs éducatives et travailler la citoyenneté. »

Pour « faire progresser l’école », plutôt que de « faire tout reposer sur ses épaules », il faut agir « à la fois sur le système éducatif, mais aussi sur son environnement social », indique Sébastien Sihr. Auprès de la ministre de l’éducation nationale, il a ainsi insisté sur l’importance d’agir, aussi, pour « soigner une société fracturée sur les questions de citoyenneté, qui affecte forcément l’école ».

Une société qui doit montrer l’exemple

« L’école enseigne déjà la citoyenneté et la fraternité, mais dans le même temps, notre société n’est pas exemplaire. Et cela, les élèves le perçoivent », indique Sébastien Sihr. Au gouvernement d’agir, ainsi, pour « ne laisser aucune famille en dehors de la République », en « améliorant la solidarité » dans des domaines comme l’emploi, le logement, et en « luttant contre les discriminations, la ghettoïsation et les inégalités sociales ».

tableau d'école

© RAM – Fotolia.com

Ainsi, s’il faut impérativement améliorer la mixité sociale à l’école, « il faut aussi, surtout, le faire à l’extérieur, dans certains quartiers, devenus des lieux de relégation sociale », note le syndicaliste enseignant.

A l’école, les professeurs peuvent toujours « poursuivre et multiplier les initiatives déjà en cours » pour enseigner la citoyenneté et les valeurs républicaines. « Il s’agit de projets sur la citoyenneté et sur le vivre ensemble qui se font déjà, comme faire entrer la démocratie dans la classe avec des conseils d’enfants, organiser des débats philosophiques ou sur des questions de société, mettre en place des journaux scolaires… », liste-t-il.

Mais pour Sébastien Sihr, il importe aussi, et surtout, d’améliorer « les conditions d’apprentissage et de vie » des établissements scolaires, notamment « ceux implantés dans des quartiers difficiles », ou appartenant à des REP ou à des REP +.

« Cela nécessite de renforcer l’encadrement des élèves par des adultes, en augmentant le nombre d’assistants d’éducation et d’enseignants, tout en réduisant l’effectif des classes : apprendre la citoyenneté ne se fait pas de la même manière dans une classe de 30 ou de 20 élèves », explique-t-il.

Et de conclure : « le plan d’éducation prioritaire doit être un plan de haut niveau… mais il faut qu’en miroir de tout cela, le message délivré par la société soit exemplaire, sous peine de mettre à mal le travail effectué par l’école ». Le débat est ouvert.