Pourquoi avoir réalisé un documentaire sur l’école primaire ?
Mes trois enfants sont allés dans la même école et, en l’espace de 10 ans, j’ai perçu un changement, surtout en maternelle. Les élèves y sont évalués de plus en plus tôt, ils ont moins de temps pour jouer et s’éveiller. J’ai cherché à comprendre comment nous en sommes arrivés là . Le tournage a débuté en mars 2011 et a duré six mois. Une première différence m’a frappé entre la France et la Finlande : en France, les inspections académiques se sont montrées très réticentes pour m’autoriser à filmer. J’ai été interdite de tournage à Epinay-sur-Seine, au moment où il y a eu des problèmes de non remplacement d’enseignants. En Finlande, trois écoles m’ont immédiatement ouvert leurs portes. J’ai senti une fierté et une joie, contrastant avec un mal-être en France.
Pourquoi dites vous que l’école française est « à bout de souffle » ?
La pression scolaire est de plus en plus forte. J’ai constaté une surenchère avec, d’une part, un système scolaire toujours plus exigeant et, d’autre part, des parents toujours plus stressés. En imposant des évaluations dès la grande section de maternelle, on se comporte en primaire comme on le faisait il y a une quinzaine d’années avec le collège. La pression s’autoalimente, une compétition entre les écoles commence à voir le jour. Une enseignante dit avoir le sentiment de devoir « enfourner » de plus en plus de connaissances avec de moins en moins de temps. En moyenne section, l’aide individualisée a lieu pendant l’heure du déjeuner. Résultat : beaucoup d’enfants baillent et montrent des signes de fatigue. Tout va trop vite pour une majorité des élèves. Ils sont normaux mais se retrouvent confrontés à des exigences trop élevées.
Plusieurs spécialistes, comme le pédagogue Philippe Meirieu, interviennent dans le documentaire. Quelles sont leurs propositions pour limiter l’échec scolaire ?
Les spécialistes s’accordent à dire qu’il faut remettre le système à plat. Ils estiment que de simples mesures, comme l’apprentissage de l’anglais en primaire, ne vont pas changer l’école. Il faudrait surtout se poser la question de savoir quel type d’individus nous voulons former, ce qui suppose une réflexion collective et politique.
Vous prenez aussi le parti de poser votre caméra en Finlande… Quelles sont les différences entre les systèmes scolaires français et scandinave ?
Les enseignants interviennent toute la journée, y compris le midi où ils déjeunent avec les élèves. Ils fonctionnent en équipes éducatives et travaillent vraiment ensemble. Des activités s’organisent sur plusieurs classes et il y a toujours l’équivalent de notre « RASED » (Réseau d’aides Spécialisées aux élèves en difficulté). La prise en charge se fait sans attendre que les enfants soient en difficulté, sur le temps scolaire, contrairement à l’aide individualisée en France. La question des moyens est centrale puisqu’il y a plus d’enseignants pour moins d’élèves en Finlande (lire encadré). Et sur le plan pédagogique, l’approche n’a rien à voir : on considère en Finlande que l’enfant doit pouvoir bouger en classe. En France, on reste très scolaire.
Pourquoi ne s’inspire-t-on pas davantage de ce modèle ?
Il serait illusoire de transposer le système finlandais en France car la société n’est pas la même. Mais on peut s’en inspirer ! En Finlande, en primaire, on compte 25 ou 26 élèves par classe. Ils sont en demi-groupe la majorité du temps, notamment pour l’apprentissage de l’anglais, avec un vrai prof bilingue. Pendant ce temps, l’autre demi-groupe fait des maths et le « RASED » intervient en soutien. L’autre différence repose sur les rythmes scolaires : l’année type d’un petit Français de 7-11 ans représente 847 heures de cours, sur 144 jours de classe. Alors que l’année type d’un petit Finlandais comprend 608 heures de cours pour les 7-8 ans et 683 heures de cours pour les 9-11 ans, répartis sur 188 jours de classe. En clair, les Français ont 200 heures de plus par an à l’école. On continue d’aller à l’inverse du modèle finlandais. Eux ont moins de cours, tandis que nous, on en rajoute. Ils ne notent qu’à partir de l’âge de 12 ans, alors que nous instaurons la notation toujours plus précocement. A l’évidence, des questions se posent.
Charles Centofanti
Comparaison n’est pas raison. Les Finlandais ont sans doute des raisons de se réjouir de leur système scolaire mais la France a surtout besoin de rétablir une relation de confiance entre ses propres enseignants et le monde extérieur à l’école. Les tentatives pour enseigner autrement ont été nombreuses tout au long des années 70-80 ; elles ont été progressivement balayées par un discours passéiste désireux de ressusciter un mythe d’un âge d’or qui se heurte aux bouleversements que le monde occidental est en train de vivre. Remettre à plat, certes, mais qui aura ce courage politiquement incorrect avec une institution qui a progressivement détruit toutes les instances de formation ? Décidément, pour urgent qu’il soit, le chantier s’avère… prométhéen !Signaler un abus
J’ai regardé le documentaire diffusé hier au soir sur la 5e et je l’ai trouvé édifiant à plus d’un titre. Il confirme en tout cas le manque d’harmonie – le mot est faible – entre parents et enseignants, pour ne rien dire des orthophonistes, pardon, des « graphothérapeutes » ! La dame filmée a tout fait pour renforcer la relation de confiance !
Un reproche toutefois : les séquences choisies sont souvent des illustrations quelque peu ad hoc, avec des parents d’élèves français obnubilés par la réussite de leurs enfants, jusqu’au harcèlement, et des élèves finlandais qui passent le temps à se déplacer d’une salle à l’autre… Dans les deux cas, la réalité n’est-elle pas plus complexe ? Il faudrait aussi s’interroger sur la réussite comparée de la Finlande et de la Corée, où les approches sociales de l’école sont radicalement opposées.Signaler un abus
Le constructivisme affiché par les enseignants est sûrement un progrès pédagogique. Toutefois, bien qu’âgée de plus de 60 ans, je constate que j’ai développé en suivant des méthodes positivistes réputées « de domestication », beaucoup plus de culture générale que les enfants que je suis en soutien scolaire. Internet ne remplace pas une mémoire entraînée, la critique de document (ainsi proposée) n’aide pas à comprendre le contexte, l’absence d’histoire brouille les cartes de la chronologie. Et je ne parle pas de l’orthographe désastreuse. Retourner au passé, peut-être pas, mais l’interroger sûrement.Signaler un abus
Dans les années 1980, une rénovation de l’enseignement primaire avait touché le français et les maths… ce fut ensuite celui dit « de l’éveil » pour sciences, histoire géo etc… En 1989 le ministre Jospin faisait voter la loi dite « Jospin » où désormais « l’Enfant est au centre des apprentissages » ! j’ai travaillé comme formatrice et didacticienne et peaufiné (avec les autres formateurs) des méthodes et démarches de formation des maîtres qui découvrent enfin que l’enfant apprend en étant acteur de son apprentissage (il questionne, cherche… trouve seul ou avec son groupe). Dès lors… seule une formation de qualité des enseignants (à l’image de la Finlande aujourd’hui) aurait pu sauver notre école… il n’en fut rien ! Des débuts balbutiants des IUFM… puis les bagarres institutionnelles … les horaires de formation réduits peu à peu… Malgré l’initiative la Main à la pâte (1996) au début fondée sur des convictions empiristes de leurs auteurs en matière d’enseignement des sciences… la rénovation de l’enseignement s’est étiolée… jusqu’aux années de Luc Ferry, Fillon, Robien, puis Darcos et maintenant complètement en démolition avec JL Chatel et ses évaluations détournées comme outil de classement (passage de classe ou pas ! et remédiation pendant les vacances… comme dans le film) plutôt que d’évaluation progressive et continue par l’enseignant ! Quel comble ! Quel stress pour l’enfant … d’où l’échec scolaire qui n’en finit pas de grimper ! voir à la suite – C.Balpe – cbalpe@gmail.comSignaler un abus
suite du précédent
Nous avions tous les outils en 1989…… tout est actuellement oublié, détruit, anéanti ! Les formateurs sont maintenant en retraite !!! (donc plus officiellement entendus). Louer l’éducation finlandaise en faisant le contraire !! Au lieu de cela, des classes bondées par suppression des postes d’enseignants… des salaires d’enseignants nettement les plus bas d’Europe, et une formation des enseignants soit-disant toujours trop chère… donc escamotée : les maîtres vont directement dans les classes après 2 ou 3 jours dits « de formation »… avec les conseils homéopathiques d’un « super enseignant », généralement en fin de carrière ! (Rappelez-vous le film : les enseignants du primaire sont formés au même niveau d’exigence que les ingénieurs !!). C’est actuellement un pur scandale : pour pallier au délabrement, chaque famille paye les services « après-vente » (pardon : après école ! ) des officines privées de soutien scolaire !.
Historiquement, nous avions pris le bon chemin… et étions mieux classés dans les tests PISA jusqu’aux années 2002.
Avec le changement idéologique, dix ans se sont succédés en montrant combien la politique de l’utilitarisme et de l’évaluation appauvrit notre jeunesse en matière d’éducation… et partant appauvrit notre pays. – C.Balpe – cbalpe@gmail.comSignaler un abus
J’ai vu le reportage, résultat : il laisse amer, écœuré, par ce que les enfants sont en train de subir dès la maternelle en France. Quels « citoyens » demain ? J’aurais aimé Me Julienne que vous insistiez sur l’origine de la prise en main du changement en Finlande : qui en a été à l’initiative, quels personnages politiques, pourquoi cet acharnement en France à constater les inégalités se creuser, alors que les nombreuses recherches en éducation peuvent fournir tant de pistes de réflexion et d’action…aux enseignants par exemple… Ne soyons pas dupes du mirage de la création des 60.000 postes…. Comme dirait le sociologue F. Dubet, 60.000 postes pour quoi faire ? Poursuivre avec les méthodes pédagogiques d’aujourd’hui (les tableaux à double entrée en maternelle 🙂 et 3 évaluations par jour en CM2 par exemple…) ?Signaler un abus
Bonjour,
J’ai également regardé le documentaire « L’école à bout de souffle », que j’ai trouvé très intéressant.
En tant « qu’apprentie-enseignante », j’ai une question à poser à l’auteur d’un des commentaires précédents.
@ chaconne : qu’entendez-vous par « méthodes positivistes de domestication »?
Merci d’avance, à bientôt.Signaler un abus
Re-bonjour,
Pour rappel, je suis « apprentie-enseignante » (professeur des écoles).
Dans le cadre de ma formation, je suis amenée à réaliser un portfolio numérique, dans lequel j’ai décidé de faire référence à ce documentaire. A ce titre, j’aimerais citer qq réactions de personnes plus expertes que moi dans le monde de la formation/de l’éducation. Parmi les commentaires ci-dessus, je pense à chaconne et claude75 (si vous êtes d’accord),les autres réactions sont également les bienvenues.
Merci d’avance, salutations.Signaler un abus
Institutrice de maternelle en retraite, j’ai 3 petits-enfants dont 2 en moyenne section de maternelle : je suis effarée et effrayée de voir l’évolution négative de cette école ! Les enfants sont sous pression, constamment « évalués » et, finalement, dévalorisés. Je souhaiterais entrer en contact avec Marina Julienne dont j’ai apprécié l’excellent travail : peut-être pouvons-nous agir ? Le bonheur de nos enfants est en jeu. Bravo et merci
Jannig LaunaySignaler un abus