Quand Pierre Brunel prend la parole, on ne peut que regretter de n’avoir jamais été son élève, ou se réjouir d’avoir eu cette chance
C’est selon. Heureusement, il y a toujours les conférences internationales du professeur émérite et ses nombreux ouvrages, fruits de ses travaux sur les mythes littéraires, la littérature et la musique, le théâtre, la critique littéraire, le roman au XXe siècle et sur
Rimbaud. « Poète difficile entre tous », dont l’uvre, tel un éclatant fil rouge, balise aujourd’hui encore la vie du comparatiste.
Une scolarité en province
Fils d’un couple d’instituteurs, Pierre Brunel naît en 1939 dans la maison-école de Moutardon2, petit village du nord Charente. Tour à tour élève de sa mère, férue d’histoire, puis de son père, passionné de philosophie, il enchaîne avec une scolarité secondaire pleine et heureuse au collège Desfontaines de Melle (Deux-Sèvres). Là, et à son grand bénéfice, les cours de français lui sont un temps assurés par un professeur d’allemand, un temps par un enseignant de musique… « Preuve en est que l’on peut faire de très bonnes études en province, avec des enseignants polyvalents », souligne l’universitaire. En classe de troisième, la rencontre avec un professeur de français, latin, grec accroît sa vocation pour les lettres classiques, vocation « née dans un environnement familial plus que favorable ». Baccalauréat à Melle, hypokhâgne à Poitiers, le jeune étudiant fait ensuite connaissance avec la rue d’Ulm, à Paris, où il s’inscrit en khâgne avant d’intégrer l’École normale supérieure l’année suivante. Il a alors dix-neuf ans.
Des choix porteurs
Après une première année à l’ENS et une licence de lettres classiques, Pierre Brunel dispose d’un an pour élargir librement ses compétences et passer un certificat de licence supplémentaire. Langues orientales, musicologie ? Il finit par « tomber en arrêt » en Sorbonne, devant un panneau présentant l’enseignement de littérature comparée, discipline alors enseignée par deux maîtres du genre : René Etiemble et Charles Dédéyan. Après hésitation, l’étudiant qui se sent plus en accord avec le classicisme et les orientations de Dédéyan devient son disciple. Trois ans plus tard, en 1962, il devient agrégé de lettres classiques et s’engage dans un doctorat d’État qu’il obtient, en 1970, après la soutenance de deux thèses complémentaires sur Paul Claudel. Au cours de ces huit années, Pierre Brunel remplit ses obligations militaires comme enseignant à La Flèche (Sarthe), est assistant à la Sorbonne (de 1965 à 1968) puis maître de conférences à l’Université d’Amiens nouvellement fondée. En 1970, le professeur est élu à la Sorbonne qui vient d’éclater en différentes unités. Le choix est ouvert. Suivant Dédéyan, il opte pour Paris IV « où la marge de manuvre personnelle semble plus étendue ».
Travailleur infatigable
De fait, Pierre Brunel y est très actif. Il s’implique dans le développement du département de littérature française comparée dont il prend la direction en 1982 et simultanément, fonde le Centre de Recherche en Littérature Comparée (CRLC3). Multipliant les publications collectives et personnelles sur ses sujets de prédilection, il est directeur de collection et auteur reconnu pour ses ouvrages de mythocritique, ses études monographiques, ses volumes sur la littérature et la musique4
En 1995, il crée une structure qui lui permet d’organiser des cycles de conférences internationales en lien avec l’université : le Collège de Littérature comparée (CLC). La même année, il est élu membre de l’Institut Universitaire de France. Refusant rarement la direction d’une thèse de doctorat5, il accepte même en 2006 de diriger l’une des sept commissions de travail choisies par Gilles de Robien pour revoir l’adaptation des programmes du secondaire
La tâche n’est pas facile, mais il s’y astreint, fidèle à ses convictions.
Depuis septembre 2008, retraite oblige, Pierre Brunel a pris de la distance avec ses fonctions enseignantes et administratives6. Se voulant « discret » dans les couloirs de la Sorbonne, il a toutefois accepté la mission de médiation7 auprès des personnels que Georges Molinié8 a tenu à lui confier
Une continuité belle et légitime à l’image de la relation qu’il entretient avec son auteur phare : « comme beaucoup, j’ai connu Rimbaud à l’école, en étudiant Le Buffet, Le Dormeur du val
Lorsque j’ai souhaité m’émanciper de Claudel, après mon travail de thèse, c’est vers lui que je me suis tourné ». Et à l’évidence, il n’a pas fini de le découvrir.
Marie-Laure Maisonneuve
(1) Cf. le site des Cours de civilisation française de la Sorbonne
(2) Désormais lieu-dit de la commune de Nanteuil en Vallée (16)
(3) Unité propre à l’université Paris IV-Sorbonne, à vocation interuniversitaire et internationale, le CRLC a cherché, dès sa création, à promouvoir la littérature comparée en France et à l’étranger. Il continue aujourd’hui à soutenir les travaux individuels, et permet la constitution et la coordination d’équipes de recherche.
(4) Il fonde notamment la collection « Musique et musiciens » avec Xavier Darcos aux Presses Universitaires de France.
(5) On lui en attribue 120, il en reconnaît une vingtaine d’effective
(6) Il a été vice-président du conseil d’administration de Paris IV de 2001 à 2008
(7) Le rôle du médiateur de l’université Paris-Sorbonne est, en cas de conflits, de « rapprocher les points de vue et d’insuffler un esprit, une attitude faite de respect, d’écoute et d’explication auprès des personnels enseignants et non-enseignents de l’université ».
(8) Président de l’Université Paris IV – Sorbonne
J’ai eu la chance d’assister aux cours de Pierre Brunel en 1978/1979. C’est une expérience formidable . Je n’oublierai jamais ce prof qui m’a fait connaître Rimbaud, et découvrir la poésie. Merci Monsieur Brunel.Signaler un abus